Littérature noire
3 Février 2015
Bombesque roman de la toujours sulfureuse Virginie Despentes. Avec Vernon Subutex, l'auteure montre qu'elle ne s'est pas spécialement assagie, qu'elle possède encore une certaine rage d'écrire tout comme une capacité à peindre le monde dans lequel elle vit. Alors, clairement, si elle peint, ce n'est pas à la pastel mais plutôt à l'acide de batterie. Son personnage central, Vernon Subutex est l'ancien tenancier du magasin de disques Revolver, adresse mythique du Paris des années 80/90, où toute une jeunesse allait se fournir en raretés, bootleg, affiches et petits potins. C'est là surtout, qu'une génération s'est forgée ses convictions : sex, drugs and rock'n'roll. Sauf qu'en 2010, Subutex approche la cinquantaine, son magasin est fermé et son proprio le jette de l'appart' qu'il louait.
Le malheureux célibataire conserve toutefois un carnet d'adresses suffisamment étoffé pour ne pas se retrouver à la rue. Encore beau gosse, beau parleur, il a surtout cet aura du disquaire des années fastes, le mec à qui on se confiait. Et puis il était l'ami d'Alex Bleach, rocker tragiquement mort ses dernières semaines. Un ami qui , un soir de défonce à la coke, lui a laissé trois cassettes de confessions... trois cassettes que Subutex n'a jamais regardé en fait mais qui intéressent pas mal de monde dans le show biz. Du coup, l'ex-disquaire en pleine panade est l'objet d'une quasi chasse à l'homme.
La grande subtilité de Virginie Despentes est de raconter ce Paris qui a existé et ce Paris qui n'existe plus. Aux rêves, aux chimères des rockers des années 80 a succédé la lose, le sida, la drogue et les infarctus du myocarde. Le monde a été bouleversé d'une manière que ces amateurs de Minor Threat ou Cro-Mags (ah leur premier concert parisien avec Motorhead au Zénith !) n'imaginaient pas. En squattant chez des potes, des copines, Subutex traverse ainsi les couches sociales : d'un petit couple sage, avec leur chien Colette, d'une amie, Sylvie, qui s'accroche à lui comme à un sex toy, d'un pote, Patrice, seul depuis que sa femme en avait marre de prendre des coups, de Marcia, la trans brésilienne qu'il rencontre chez le trader millionnaire, Kiko... Une galerie de portraits juste, jamais caricaturale, parfois très méchante mais avec souvent un brin de tendresse, devant les failles humaines. Au travers de ces hommes et de ces femmes, Virginie Despentes montre un décalage entre cette France riche, où les rentiers existent encore, où les traders prospèrent et une France plus laborieuse, plus insouciante aussi, celle de Vernon et de ses amis.
Livre totalement réussi, fruit d'un travail éblouissant, d'une culture du rock vraiment réjouissante, avec une dose d'humour, de fatalisme parfois, de générosité, Vernon Subutex se lit comme une biographie de Sid Vicious, à 100 à l'heure, avec l'envie que ça ne finisse pas. Cela tombe bien : ce n'est que le premier tome d'une trilogie, dont le numéro 2 est annoncé début avril. Ne perdez donc pas de temps !
Vernon Subutex, Virginie Despentes, ed. Grasset, 397 pages, 19, 90 euros.