Littérature noire
18 Mars 2015
Ils habitent sur une digue du Nord. Entre un bassin qui accueille des gros navires méthaniers, une centrale nucléaire, les restes d'une raffinerie et une usine qui engloutit des cargaison de minerais déchargées des bateaux. Une usine, fabriquant du polyéthylène et recrachant, à l'occasion, de gros panaches de fumée noire, tout comme une odeur pestilentielle, toxique. Un paysage de déconfiture, de mouise, de ciel bas, bref de désindustrialisation. Le chemin s'arrêtera là, dernier roman de Pascal Dessaint, ne fait pas dans la joie. Dans ce décor savamment esquissé, sans trop épaissir le trait pourtant, l'auteur plante une demi-douzaine de personnages. Il y a Louis, l'enfant, qui vit avec son oncle Michel depuis la mort de sa mère. Il y a Cyril, chômeur, qui vit dans une caravane où il abuse de sa fille. Il y a Wilfried, le pêcheur. Il y a un autre gamin Gilles, qui rêve de tuer un phoque avec sa carabine. Un cocktail de misères qui, forcément, mène au drame... Un roman poignant et irrésistible.
Tout lecteur un peu éclairé sait bien que ce mélange de chômage, de pauvreté sentimentale, d'alcools, conduit, à un moment ou à un autre, à la mort. Le lecteur de littérature noire le sait, le lecteur de faits divers également. C'est d'une banalité crasse mais pourtant on se surprend, chaque fois, à attendre ce qui va se passer, à redouter l'innommable, tout en le perçevant déjà comme dans un réflexe pavlovien. Le malheur des uns redonnant toujours un peu de lumière à son propre quotidien.
Dans ce coin du Nord, c'est un microcosme qui vit sur la digue. Avec donc, ce Cyril, personnage dégueulasse qui survit aux crochets de sa fille, Mona, toute jeune employée dans une parfumerie du centre commercial. Tous deux cohabitent dans une caravane, liés par un accident mortel qui remonte à quelques années, un secret qui les tient tous deux et que Mona vit comme une gêne, presque un fardeau. Et c'est dans doute ce qui fait qu'elle accepte, en pleurant, les abus de son père. Avec Wilfried, presque un ami, et surtout un pauvre gars dans les griffes d'une femme obèse (scènes de sexe à hurler de rires attention !), Cyril décide de vider sa rancoeur contre cette société qui l'a mis sur le côté : " qu'est ce qui était pire ? Tuer un homme, un seul, un parmi la multitude, même d'une façon affreuse, ou bien fermer une usine et plonger du même coup dans le désarroi des centaines et même des milliers de pauvres gars ? "
D'accord, il y a un fond de politique dans Le chemin s'arrêtera là, de la politique au sens très large, puisque Pascal Dessaint est trop intelligent pour pointer du doigt un parti, une dérive libérale. Non, il n'est pas comme ça et ses personnages non plus. Ce qui serait presque inquiétant. Privés de tout, ces hommes et ces femmes perdus ne comptent même plus sur un mouvement politique, un syndicat. Ils pensent à leurs gueules en fait. Dernier étage de l'état citoyen. Donc, non, il s'agit ici de savoir ce que deviennent les plans sociaux, de comprendre comment une partie de la population peut continuer à vivre dans de telles conditions, quasiment abandonnée. Qu'est-ce qu'il reste lorsque l'on n'a plus de boulot, avant de finir à la rue ? " Il ne faut pas s'étonner que les gosses prolos partent avec une longueur de retard. Les parents n'ont pas eu toutes les chances, et c'est un mal qui se transmet d'une génération à l'autre. Il fallait être né dans ce terreau-là pour comprendre que ça serait toujours plus difficile que pour les autres, même avec toute la volonté du monde. " Un livre superbe, dans une langue qui emprunte joliment au parlé populaire, sans mépris, sans condescendance.
Le chemin s'arrêtera là, Pascal Dessaint, édition Rivages, 220 pages, 18 euros.