Littérature noire
4 Mai 2015
(James Ellroy est à Bastia, le 8 mai pour une rencontre à 17 heures, au théâtre municipal. Entrée libre)
Il y a une sorte d'excitation à suivre un auteur que l'on a découvert sur les bancs du lycée, quand les profs de français nous farcissaient la tête de Balzac, de Molière, de Mallarmé... L'excitation de retrouver celui qui nous a donné un sacré coup de main, en nous faisant voir la vie autrement. L'écriture autrement.
James Ellroy revient donc en ce printemps 2015, comme promis, avec Perfidia, un bon kilo d'embrouilles, de flics corrompus, de mecs en phase de rédemption, de gonzesses sexy et redoutables... et puis un peu de plomb, forcément. Perfidia, c'est Los Angeles du 5 au 29 décembre 1941. Los Angeles qui observe la guerre en Europe, sent les Japonais pas loin et, après le choc de Pearl Harbor, s'attend à les voir débarquer à Malibu ! Perfidia, c'est surtout le retour de Dudley Smith, sergent dingue du LAPD, de Kay Lake, de Lee Blanchard et Bucky Bleichert, " nos " héros du Dahlia... Perfidia, c'est avant le premier quatuor de Los Angeles. Perfidia, c'est grand.
Au LAPD, on se frictionne en cet hiver 41 pour savoir qui va prendre les rênes du services à l'avenir. Dans les starting blocks, il y a donc Dudley Smith, vicelard au possible, amateur de justice expéditive, d'opium et de déjeuner à l'oeil chez son ami asiatique, supplétif de la police. Ce que l'on apprend, incidemment, c'est que Smith a vécu les premiers Troubles d'Irlande du Nord. Lui, jeune catholique, face aux immondes black and tans de l'Angleterre colonialiste. Candidat au poste également, William H. Parker, personnage véridique, capitaine alcoolique, lui aussi très catholique et soucieux de la bonne marche du service. Même s'il n'est pas exempt de quelques pressions, il paraît un ange à côté de Smith.
Le premier va se trouver confronté au quadruple homicide de la famille Watanabe. Suicide ou assassinat ? Et comment en tirer profit pour la propagande gouvernementale... Parker, lui, s'échine à infiltrer les " rouges " de Hollywood, une Cinquième Colonne mythifiée, l'ennemi de l'intérieur. Là-dessus, arrive Pearl Harbor qui va faire perdre la boule à toute la population, aux élus en premier qui décident l'internement des Japonais et des Américains d'origine japonaise. Un grand foutoir, une ambiance électrique avec perversion et coups bas. Entre ces deux flics, Hideo Ashida, petit génie de ce qui deviendra la police scientifique, ne sait plus où poser ses envies, son honneur et, à l'occasion, ses fesses de policier japonais.
James Ellroy empoigne une dizaine de personnages et les fait vibrer durant 830 pages. On le connaît maintenant : sa narration ne supporte pas le temps mort. Outre les 24 jours de Perfidia, il se permet d'avancer heure par heure, du commissariat, à l'hôtel de ville, aux studios hollywoodiens, au quartier des Watanabe... Immensément romanesque, Perfidia a pour lui ce souffle de l'histoire que l'on a connu dans la trilogie Underworld : on y croise Joe Kennedy, Bette Davis, le maire de Los Angeles, celui de New-York (La Guardia !) et évidemment cette crapule de Hoover. Cela pue la documentation gigantesque, les piles de dossiers !
Qu'est-ce qu'apporte ce nouvel opus d'Ellroy ? Une vision encore différente de l'Amérique. Un autre angle. Et beaucoup de questions sur, finalement, ce que c'est que d'être Américain ! Quand les communistes sont chassés, les Japonais emprisonnés, l'antisémitisme même plus rampant et la paranoia bien installée. Depuis trente ans, l'auteur foule aux pieds le rêve ricain et le rêve hollywoodien. Mais, il y a les femmes. Personnages bien plus centraux que l'on ne croit dans ses romans. Kay Lake, insaisissable, intelligente, désirable... et versée sur le communisme. Enfin, du moins le croit-on. Kay Lake, une femme comme on en croisait dans la trilogie Underworld, une femme pour laquelle ils sont nombreux à se damner. Kay Lake que l'on devine au coeur de ce quartet, magistral, à venir.
Perfidia, James Ellroy, ed. Rivages, 829 pages, 24 euros.