Littérature noire
17 Septembre 2015
C'est la rentrée, faut se bouger un peu. Démarrage sur des chapeaux de roue avec ce livre très attendu et souvent encensé par la critique. Mmmm... Le sujet est trop intéressant pour tourner les talons. 1992, la guerre en Yougoslavie est un carnage. En Afghanistan, Massoud prend les armes. En Algérie, le Front islamique du salut est dissous... Et à Los Angeles, pendant six jours du printemps, la ville va être à feu et à sang. Littéralement. Les policiers poursuivis pour le fameux tabassage du conducteur noir Rodney King bénéficient d'un non-lieu. Les quartiers de East LA pètent un câble et pratiquent la terre brûlée, les habitants, quart monde hispanique et black, s'en prennent aux blancs, aux écoles, aux pompiers, sur un périmètre, rien que le premier jour de 277 km2...
Un traumatisme, une fracture mentale, que Ryan Gattis parvient à faire sentir dans ses Six Jours. A travers près d'une vingtaine de personnages, interpellant tour à tour le lecteur, l'auteur fait vivre les émeutes du quartier de Lynwood, serrant son récit autour de la vie du gang d'un certain Fate, les premiers rôles de la bande mais aussi les figurants. Car outre les Blood et les Crips, LA regorge de gangs armés, luttant pour leur pré carré, leur business. Dans Six Jours tout part d'un membre de la famille Rivera, gang de Fate, qui défouraille à a sortie d'un bar et tue le frère et la sœur d'un petit chef,Trouble. La loi du Talion démarre dans les premières pages du livre, une scène d'introduction glaçante : un grand frère tout ce qu'il y a d'honnête, trainé à l'arrière d'un van...
Ryan Gattis montre bien sûr à quel point l'Etat américain n'a pas su contenir les émeutes, n'a pas su protéger les populations malgré la loi martiale promulguée par le maire de Los Angeles. Une absence quasi totale si on excepte une unité spéciale profitant elle aussi du chaos pour envoyer un message fort aux gangs. Mais sinon, c'est le règne de la vraie jungle, une sorte de chaîne alimentaire chez les malfrats. Cela, l'auteur l'écrit dans des pages magnifiques, tout comme il livre un paysage dantesque de flammes, de cambriolages, de rues désertes et de galerie marchandes gardées par des vigiles en armes. « De mon siège on dirait que Los Angeles a essuyé des raids aériens. On dirait qu'il y a eu des bombardements. Des zones de flammes orange, de part et d'autre de la 110, certaines au fond de cratères noirs, ici et là parce que le feu a fait disjoncter l'électricité de tout le pâté de maison et ce n'est pas la première fois, me semble-t-il. Je me dis que c'est à ça que l'enfer doit ressembler. Il n'y a pas d'étoiles ce soir. Ça fait deux nuits de suite qu'il n'y en a pas. La canopée de fumée noire en suspension est tellement épaisse qu'on ne voit pas à travers. »
Ryan Gattis raconte le sentiment de trahison d'une partie de la population mais surtout la volonté de ces gangs de capitaliser sur l'injustice faite à Rodney King. Une sorte de Darwinisme hyper violent de l'émeute. Car il est très peu question de politique dans Six Jours. Le pays allait voter Clinton dans quelques mois mais qui s'en soucie dans ces 400 pages ? Le jusqu'au boutisme des gangs, le culte du calibre se mêle aussi à une ode pour Los Angeles, ville à l'instinct de survie incroyable.
Une fresque épique et un grand livre de cette rentrée.
Six Jours, Ryan Gattis, éd. Fayard, 417 pages, 24 euros.