19 Août 2015
Et donc, mon quatrième Harry Crews, Le faucon va mourir. Lu à la mi-juillet, il m'aura fallu un bon mois pour tenter d'en écrire quelque chose. Les histoires de Crews ne sont jamais faciles hein ? Nous ne sommes pas dans le polar, pas dans le surréel et pourtant tout cela est bien noir, bien fantastique. D'une certaine manière.
Dans une Floride, loin des parcs, du littoral, George Gattling, la quarantaine, vit une grise existence entre sa soeur, Precious, qui habite chez lui avec son fils Fred, mentalement retardé et puis cette liaison un peu bancale, avec une étudiante. Dans la vie de George, heureusement, il y a le dressage de faucon. Il le répète, c'est une activité ancestrale, noble, exigeante. Quand son neveu Fred décède accidentellement, George se renferme sur son faucon.
Chez Crews, il y a toujours cette part de surréalisme, de folie. Ainsi la mort de Fred n'est déjà pas banale : noyé, en pleine nuit, dans son waterbed crevé par un mégot de cigarette ! Plus étrange c'est difficile. Après, précisons et au conditionnel, son premier rapport sexuel. George, qui l'a élevé, l'a chéri, l'a amené avec lui pour attraper les faucons, ne montre alors quasiment aucun signe de deuil. Il n'est pas mutique, il a la tête ailleurs. Au grand dam de sa soeur, de son ex-beau-frère (pur beauf américain), de son collègue de travail et même du prêtre du coin. George ne refuse pas la réalité, il s'attache aux faits, mais pour lui, la mort de son neveu est un simple moment, peut-être en est-il même responsable ? Ce décès, central dans le roman, qui réunit toute la communauté, il ne veut pas en être. Non, ce qui le motive, c'est d'affamer son faucon, de le tenir éveiller pour le dompter, pour maîtriser cet animal sauvage magnifique. C'est là que George - et Crews - trouve le beau : une communion avec la Nature, un respect d'une tradition exotique. Contre tous, George va résister, poursuivre son plan de dressage. Face à la mort, au désespoir, il choisit la vie finalement. Mais une vie qui n'est pas sûre non plus car rien ne dit que le faucon va vivre... C'est cette entre-deux qui fait aussi le sel de ce roman fantastique.
Qu'est-ce que nous dit Harry Crews ? Que la mort ne vaut pas tous ces simagrées ? Que la vie de l'Américain moyen est parfois d'une tristesse à mourir ? Que la noblesse d'un oiseau sauvage, capable de se laisser mourir de faim, plutôt que d'être apprivoiser, vaut toutes les humanités ? Qu'être différent, que ce soit Fred ou George, est un défi à la société ? " Espérer ? Comme je dis toujours, espère dans une main et chie dans l'autre, tu verras laquelle des deux se remplit le plus vite " Le pessimisme cinglé d'Harry Crews est un régal qui, vraiment, se distille doucement. On a ainsi forcément hâte de lire l'inédit que Sonatine prépare pour la rentrée : Les portes de l'enfer, traduit par Patrick Raynal.
Le faucon va mourir, Harry Crews, La série Noire,272 pages, 10 euros.