Mourir avec le sourire... et avec Richard Ford

" C'est quoi au fait ces histoires de chutes ? " Il s'est tué en tombant bêtement." " Il est tombé derrière chez lui et il ne s'en est jamais remis, le pauvre." " Depuis qu'il s'est fracturé le col du fémur, il n'a plus jamais été le même. " Ils tombent de si haut tous ces gens ? Du toit d'un immeuble ? D'une cataracte écumante ? Ils plongent au fond d'une bouche d'égoût ? "... Autant j'avais été peu emballé par Canada, le précédent Richard Ford, autant En tout franchise est un très bon livre. Construit sous la forme de quatre grosses nouvelles, avec son personnage fétiche de Frank Bascombe, Richard Ford compte les aléas de la vieillesse, les interrogations d'un homme qui sent la vigueur s'enfuir, qui pose sur le monde un regard presque cynique, parfois méchant, au moins lucide.

Frank Bascombe parle d'abord des gens qu'ils croisent, ancien client lorsqu'il était agent immobilier, petit copain de son ex-femme, vieux couple de voisins. C'est toujours drôle lorsqu'il s'attache à des descriptions physiques cataclysmiques, " il a gardé sa gueule de dogue, son menton volontaire, son front en parpaing, ses yeux en fente et ses oreilles charnues..." L'humour de Ford (très bien traduit par Josée Kamoun) est vraiment délicieux, piquant sans être vulgaire. Mais ce ne serait pas grand chose sans une belle réflexion sur la mort qui approche. La mort des autres. La mort à petit feu. La perte de l'autonomie. La déliquescence des organes. Ce n'est pas gore pour un sou, c'est d'une délicatesse absurde, comme si Frank Bascombe se retrouvait sur un continent inconnu à découvrir et commenter les effondrements internes, psychiques. Tout en évoquant sa famille, ses enfants. Absolument délicieux.

En toute franchise, ed. de l'Olivier, 232 pages, 21, 50 euros.