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The killer inside me

Littérature noire

Le chant de la Tamassee : Ron Rash en subtil eco-warrior

Le chant de la Tamassee : Ron Rash en subtil eco-warrior

Ron Rash n'en finit plus de nous épater. En une poignée de romans, il s'est imposé comme un très grand styliste, économe, mais aux images tellement déchirantes, touchantes, au service d'histoires fortes, empreintes d'une ruralité jamais mythifiée, au contact de la Nature mère nourricière. Car Ron Rash est un paysan de la littérature, un homme fait de cette terre noire de Caroline du Sud, de cette terre qui sent, apparemment, si bon. Pourtant avec Le chant de la Tamassee, c'est autant d'eau que de terre dont parle Rash.

Lors d'un pique nique familial, la petite Ruth Kowalski, 12 ans, se baigne dans la Chatooga river (au passage, cadre du film Delivrance) et rêve de se trouver exactement là où le cours d'eau sépare la Géorgie de la Caroline, au beau milieu. Mal lui en prend. Elle est emportée sans pitié par cette rivière sauvage, noyée et coincée sous le ressac d'une chute d'eau. Les parents, dont un père banquier, figure du citadin sans manières mais pas sans sentiments, font appel à une société de barrages provisoires pour sortir leur enfant pendant que les écologistes, défenseurs de cette rivière inscrite, par loi fédérale, comme cours d'eau sauvage, refusent de voir le moindre rivet, le moindre boulon, la moindre construction humaine, fut-elle pour quelques heures, sur les bords de la Chatooga. Dans le comté d'Ocunee, dans tout l'Etat et au-delà, l'affaire fait grand bruit, l'affaire enflamme les passions, les débats. Naturellement, Maggie, jeune photographe de presse, originaire de cette vallée, est envoyée sur place avec Allen, grand reporter, revenu de tous les champs de bataille de la planète mais surtout homme broyé depuis l'accident mortel qui a coûté la vie à sa femme et sa fille. Les deux journalistes se rapprochent durant le voyage, le séjour sur place. Mais Maggie n'a pas oublié Luke, cet eco-warrior qui l'a aimée il y a une dizaine d'années, Luke, connaisseur des textes législatifs, bon orateur, beau gosse inflexible, fortement opposé aux époux Kowalski. Personnage riche, Maggie doit aussi composer avec son père, mourant. Un père qu'elle retrouve mais qu'elle ne parvient plus à aimer depuis son enfance, depuis un accident avec son jeune frère...

Le chant de la Tamassee est encore une fois une large peinture de la Caroline du Sud et des es habitants mais c'est plus sûrement un engagement de Ron Rash pour la protection de l'environnement. Il rend autant hommage à la Nature qu'aux hommes qui la défendent et la connaissent. " - Les écologistes, en particulier Luke Miller, ne le voient pas de cet oeil-là. Ils pensent qu'une fois qu'on aura permis de violer la loi on aura ouvert la voie à toutes sortes d'exceptions, y compris celle qui vise les promoteurs immobiliers. Et ce n'est pas forcément une réaction disproportionnée. J'ai déjà vu le cas se produire. Il y a vingt ans, la Chattahoochee était aussi cristalline que la Tamassee. Aujourd'hui, son bassin n'est pas beaucoup plus qu'une banlieue pavillonnaire au milieu de laquelle coule un égout à ciel ouvert. "

Ce deuxième roman (sorti en décalé donc) a déjà quelque chose de très abouti, d'extrêmement personnel aussi que l'on ne retrouve pas avec autant d'acuité dans le reste de l'oeuvre de Rash. La cellule familiale de Maggie laisse transpirer ces sentiments ambigus entre la fille et le père, la soeur et le frère. Le retour, simplement, de Maggie, sur ses terres illustre aussi le ressentiment qui nourrit ceux que l'on a " laissé ". Et puis il y a toujours cette discrète mais grande connaissance littéraire de l'auteur, glissant des références à William Bartram, Horace Kephart et surtout Edward Abbey et son Gang de la clé à molette (traduit par Jacques Mailhos si vous l'ignorez encore !).

2016 commence très bien, avec ce bouleversant roman, d'une incroyable fluidité, d'une tendresse infinie et qui pose avec délicatesse la question de ce que nous faisons de cette terre.

Le chant de la Tamassee (trad. Isabelle Reinharez), édition du Seuil , 232 pages, 19 euros.
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L
Je suis une grande fa de Ron Rash, ce livre est magnifique :)
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