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The killer inside me

Littérature noire

S : un univers totalitaire entre Lynch et Le Prisonnier

S : un univers totalitaire entre Lynch et Le Prisonnier

Des couloirs sans fin, des portes, des passerelles, des escaliers... bienvenue dans S, le deuxième tome des aventures imaginées par Luis Seabra et mêlant, avec une certaine poésie, l'anticipation, l'univers concentrationnaire et totalitaire, à l'absurde. F, le premier roman, sorti l'an passé, voyait Linz condamné sans qu'il sache pourquoi, dans un monde où le crime est banni, sans qu'une quelconque défense soit imaginable.

Avec S, cette fois, comme une suite logique, trois personnages subissent les faux-semblants d'un régime fou. Il y a d'abord Zühl qui, du ministère des Libertés et des Privations Publiques (!), vient d'être nommé au " très prestigieux " ministère des Lectures et des Publications. Lui, le fidèle du pouvoir, se voit confier l'organisation du jubilé des cinquante ans du régime. Une sacrée promotion et il s'entoure pour bien faire de S mais aussi d'Aloïs, deux autres personnages qui prendront eux aussi leur tour de parole dans ce roman complètement dingue, où le pouvoir embastillera tout ce monde après la disparition d'un livre précieux. Une disparition ( un vol ?) inimaginable dans ce monde sous contrôle, où la divergence ne peut se conçevoir. Zühl, S et Linz vont courir, fuir, entrer dans des pièces obscures, face à des brigadiers zélés ou des hommes qui cachent leur identité. Les scènes les plus improbables se suivent à un rythme jamais contrarié. On hésite parfois, entre Lynch (époque Eraserhead), la série Le Prisonnier et Jérôme Bosch. " Au bout d'une corde attachée au plafond pendait une enveloppe blanche tenue par une pince métallique. S entendit le tour d'écrou de la serrure. Apparut alors devant lui la silhouette d'un surveillant. D'une voix rauque et comme étouffée, il prononça ces mots : " Je connais le contenu de l'enveloppe. C'est le titre du livre interdit à la lecture qui est rangé dans l'un des rayonnages de la bibliothèque général. Connaître son titre ne suffit pas, encore faut-il avoir accès au livre lui-même. Mais je sais que vos fréquentations dans la capitale vous permettront d'y accéder. "

Jeu de masques, d'énigmes, roman sur le rêve et le mauvais rêve, S est un OVNI littéraire, comme son prédécesseur, mais c'est aussi une fable sur la dérive des pouvoirs. Encore une fois on pense à Brazil mais surtout, et plus concrètement, à la dérive de certains pays communistes, avec ces régimes toujours soucieux de se prémunir d'un putsch interne. Mais est-ce vraiment de passé dont nous parle Luis Seabra ? Ne parle-t-il pas d'une société future ? Terriblement intelligent, sans être pédant, S se lit avec une facilité étonnante (il n'y a " que " 120 pages ceci dit) et si, comme les personnages, on se perd parfois dans les architectures, autant physiques que mentales, la grâce de la langue aide à retrouver le chemin.

S, ed. Rivages, 121 pages, 16 euros.

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