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The killer inside me

Littérature noire

Chutes : Gilles Zerlini défonce le monde du travail

Chutes : Gilles Zerlini défonce le monde du travail

Deux ans après ses souvenirs aigre-doux, Mauvaises nouvelles, Gilles Zerlini, personnage étonnant, charmant, de la littérature corse, mais pas seulement, revient avec un court roman, Chutes, ou les mésaventures de monsieur Durand, et autant dire que son engagement, sa colère intérieure, sont toujours d'actualité.

Antoine Durand est un jeune cadre dans une boîte de communication. Lors d'un de ces fameux week-end d'incentive (ça existe encore ?), tous les salariés sont censés faire un saut à l'élastique : dépassement de soi, affrontement de la difficulté, confiance... le bazar de management habituel. Mais Antoine est trop effrayé. Il refuse. De là, va découler une mise à l'écart de monsieur Durand. Lui-même va se retirer en partie de ce monde du travail qu'il exècre : il s'enferme dans son bureau, ne croise personne, urine dans des bouteilles d'eau pour ne pas risquer de voir un collègue aux toilettes... Il transforme son corps, ne se lavant plus, comme un bras d'honneur aux conventions qui le dégoûtent " Parfaitement vêtu, coiffé, rasé et manucuré il entra porteur de son lourd attaché-case et d'une odeur que les jours passant n'avaient fait qu'accentuer. L'odeur de la crasse humaine, paraît-il, ressemble à l'odeur qui émane aux premiers jours d'un corps mort en décomposition. La peau se transforme en champ de ruines, l'intérieur de l'enveloppe charnelle en usine chimique. L'acide butanoïque prend le dessus sur l'air ambiant. La catastrophe relationnelle est totale. L'île humaine apparaît. " Son seul refuge, c'est finalement le bar de son enfance, bistrot intemporel, ancienne maison de passe. Là, il retrouve le sens de sa vie, celle qu'il a toujours voulu mener, simple, populaire, naturelle. Il ne se passe pas grande chose dans ce bar, c'est même triste, mais c'est sur cette chaise, dans ce coin, qu'il est bien. Et équilibré. Malheureusement, les sanctions professionnelles vont le faire disjoncter à un point inimaginable. Les dernières pages baignant dans une folie anarchiste.

Entre un Toulon idéalisé et quelques mots de sa Corse, Gilles Zerlini offre un surtout un roman sur le monde du travail, sa force destructrice alors qu'il devrait être libérateur. Chutes est d'abord une charge violente sur le libéralisme contemporain,celui des années 2000, avec ses cadres complètement abrutis, privés de toute humanité, de valeurs morales.

" Je pense qu'on a perdu, avoue, en aparté, Gilles Zerlini... Je ne suis pas dégoûté. C'est comme ça. Ce n'est pas le monde que l'on imaginait. J'ai voulu faire un livre punk, un livre comme quand les Sex Pistols disaient on s'en fout s'il faut savoir jouer, on branche les amplis, on balance la sauce, l'énergie. Chutes est construit, ce n'est pas ce que je dis mais c'est quand même un joyeux bordel. " Le roman fait 115 pages. Juste le temps d'écouter No Feelings des Pistols.

A signaler la juste et pertinente préface de François de Negroni sur la littérature en Corse.

Chutes ou les mésaventures de Monsieur Durand, ed. Materia Scritta, 115 pages, 12 euros.
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