30 Mars 2016
Gravesend, c'est un morceau de Brooklyn, un quartier bien au sud, presque en face de Staten Island. C'est là que vit une des communautés italiennes de New-York. Dans ce microcosme fait d'abandon économique et de vieilles familles toujours attachées aux traditions religieuses et culinaires de leur lointaine " botte ", voilà que Ray Boy Calabrese fait son retour après 16 années en prison, pour le meurtre de Duncan D'Innocenzio. Ray Boy, à peine majeur, était un petit caïd, ou plutôt une petite frappe lorsqu'il traquait Duncan, homosexuel. Il l'a piégé et Duncan s'est retrouvé à fuir au milieu d'une rocade où un camion l'a percuté. Du Ray Boy grande gueule, il ne reste pas grand chose. A peine une enveloppe physique. Alors, quand Conway, le frère de Duncan, vient le chercher pour lui régler son compte, l'ex-criminel se contente de fermer les yeux, d'attendre ce jugement qu'il appelait de ses voeux. Et face à un tel renoncement, Conway ne peut pas aller au bout de son geste. La violence ne va pourtant pas s'arrêter.
Gravesend est un vaste propos sur les pulsions destructrices de la société. Celle d'Eugene, par exemple, qui voit en son oncle Ray Boy, une sorte de héros. Le gamin, profondément crétin et détestable au plus haut point, n'a pas saisi que celui-ci, justement, est vidé par le remords, la prison. Autre pulsion, celle de Conway, pas plus sympathique que Ray Boy finalement, mêlant la couardise à la méchanceté sur son pauvre père. Les personnages de ce roman de William Boyle (édité aux Etats-Unis par J. David Osborne, Que la mort vienne sur moi) semblent tous coincés dans un déterminisme social sombre, incapables de relever la tête, d'imaginer autre chose. Il y a bien Alessandra, celle qui est partie à Los Angeles pour faire l'actrice mais elle ne fait que se mentir elle aussi, c'est une ratée, une égoïste. Le lecteur a du mal à saisir comment Boyle va s'y prendre pour nouer tous ces destins, il y a même un moment où on se demande où l'auteur veut aller. Puis, au milieu de Gravesend, voilà que l'intrigue se dessine plus sûrement. Le crescendo est suffocant, chaque personnage enfonçant un peu plus l'histoire dans le drame. Très loin d'un quelconque romantisme sur les Italiens de New-York.
Le numéro 1000 de Rivages est réussi. C'est le signal qu'il existe une relève du roman noir. Que les Américains, après 30 ans de bons et loyaux services dans cette maison, ont toujours des choses à raconter.
Gravesend (trad. Simon Baril), ed. Rivages, 350 pages, 8, 50 euros.