Littérature noire
21 Avril 2016
Cet auteur américain ne fait rien comme les autres. Après une enfance pauvre dans le nord d'une Ecosse qu'il quitte en famille à dix ans et alors qu'il avait un diplôme d'écho- transmission (!) en poche, il décide de voir du pays et prend un job de chauffeur routier, « je pouvais écouter de la musique toute la journée et je n'avais pas à parler à qui que ce soit ! » Il traverse ainsi plusieurs fois les Etats-Unis. Puis il embarque et part pêcher le saumon et le king crab en Alaska, " pour pêcher le saumon on était des centaines de bateaux, je me demande maintenant s'il en reste encore ! ". Avant de faire le charpentier, le peintre en bâtiment et de bosser dans un stade « où il fallait gratter la glace après le match de hockey pour pouvoir accueillir un match de basket le lendemain. » Finalement, il se décide à écrire. Dans les journaux d'abord, où il croise Duane Swierczynski, à Philadelphie évidemment. Puis, Liana Levi, en France, a du flair et devient son principal éditeur. Tribulations d'un précaire (2003) signe les premiers pas d'un auteur franchement drôle mais surtout très concerné, voire inquiet, par le monde qui l'entoure. Ils savent tout de vous, sixième roman paru en octobre, révèle un Iain Levison encore plus politique. Papotage autour d'un café dans un hôtel cosy de Lyon, à l'occasion de Quais du polar. (Photo Mary Ann)
Ce dernier roman est-il une fable, un avertissement, une charge politique ?
Non, non, juste une histoire. Ce qui m'importe c'est de raconter d'abord une bonne histoire. C'est sûr qu'il n'y a pas de hasard, cela sort en 2015 après les révélations sur les écoutes de la NSA mais c'est surtout que j'ai habité en Chine et j'ai pris conscience là-bas que j'étais surveillé, écouté. Mais de façon très claire, on m'a averti officiellement. Ce qui n'est pas le cas aux Etats-Unis. Attention le système chinois est bien pire.
« Un incontrôlable comme Edward Snowden » écrivez-vous dans Ils savent tout de vous. L'ancien homme de la CIA est un modèle ?
C'est un héros. Il l'a toujours été pour moi. Sans aucune réserve. Assange aussi est un héros mais il est plus lunatique, plus étrange. Ils se sont sacrifiés pour leur cause. Pour les jeunes aux Etats-Unis, Snowden est un héros, pour le monde politique et médiatique, c'est un traître. Les médias « officiels » le considèrent comme tel. Le Washington Post c'est intéressant parce qu'il a une moitié de journalistes d'investigation, comme James Risen qui a été viré pour des enquêtes trop poussées, et puis il y a un côté très establishment, sans doute majoritairement désormais. Ils ont pourtant été la clé pour lutter contre ce que faisait la NSA.
Comment ce roman est-il perçu chez vous ?
Il n'y est pas publié. Liana Levi est mon éditeur et pour l'instant, Ils savent tout de vous est sorti en Italie, en Espagne, en Allemagne. Mes trois premiers romans, eux, sont sortis en Amérique, Tribulations a d'ailleurs très bien marché et il a été republié par Random House, les trois livres ont eu un bon accueil mais ce sont des petites ventes. Les Américains lisent moins que les Français mais comme c'est six fois la population française, on s'y retrouve.
Après le quatrième livre, qu'est-ce qui a fait que vous êtes devenu plus politique ?
Mes romans ont toujours été politique. Mais j'ai essayé de m'intéresser à d'autres univers que le travail, les chômeurs, les marginaux. Arrêtez-moi là est évidemment le moins comique de mes romans parce que c'est tiré d'un fait divers, d'un incident spécifique. Quand ce n'est pas aussi tragique, je me laisse aller à mon humour premier.
Arrêtez-moi là semble écrit dans la douleur...
Il a été très difficile parce que j'étais dans la peau du personnage, de la victime de cette erreur judiciaire, j'étais très déprimé, ça m'a miné. Je n'ai pas eu de problème avec les protagonistes réels de l'affaire parce que le livre n'est pas sorti aux Etats-Unis mais surtout parce que c'est une fiction. Je pensais d'abord écrire un article parce que c'était une énorme affaire aux Etats-Unis mais je n'ai pas eu accès au rapport d'autopsie (du corps de Richard Ricci, accusé à tort de l'enlèvement d'Elizabeth Smart et mort en prison) parce qu'il n'y en a pas eu, le corps avait été incinéré sans autopsie, l'épouse de la victime avait conclu un arrangement. J'ai dû inventer donc j'ai fait un roman. Je n'ai pas voulu être un chevalier blanc juste écrire au plus près de l'histoire. Est-ce que vous connaissez Making a murderer, sorti en décembre sur Netflix ? C'est un documentaire dans le Wisconsin. Un homme était sorti de prison après 18 ans derrière les barreaux pour un viol qu'il n'avait en fait pas commis et c'est l'ADN qui l'a innocenté. Quand il sort il réclame, 36 millions de dollars de dommages. Et puis en 2005, une femme disparaît. Le neveu de l'homme en question, qui est un pauvre homme, qui vit dans une caravane, est interrogé, il a seize ans et un retard mental. Au bout de quatre heures d'interrogatoires, il avoue qu'il a tué cette femme avec son oncle ! Il n'y a pas de preuves, aucun aveu de l'oncle, rien mais ils sont condamnés à la prison à vie. L'avocat du neveu a dit qu'il n'avait jamais vu quelqu'un d'aussi diabolique que son client ! Il travaillait clairement pour la police cet avocat. Depuis, le procureur a été accusé d'agressions sexuelles... Le Wisconsin est un état démocrate ! Ce n'est pas l'Alabama ! La fiction n'arrivera jamais à inventer des histoires pareilles. Depuis Making a murderer, une quinzaine de cas pareils ont été signalés et Susan Saradon fait une série de documentaires sur le couloir de la mort et il y a des dossiers de personnes avec le même genre d'histoires...
Vous écrivez court, en 240 ou 250 pages, c'est compliqué ?
Je ne pense pas à mes livres comme des sagas épiques à la docteur Jivago. J'aime ces livres avec plein de détails, je pense à mes livres comme ça au départ, mais peut-être je n'ai pas la patience ou alors je n'arrive pas à penser comme ces auteurs, ce n'est peut-être pas mon style. J'avoue que je pense à une suite à Ils savent tout de vous, parce que tout le monde n'est pas mort ! Un livre moins sur la télépathie avec les personnages secondaires.
Dans Libération, vous écriviez qu'il ne fallait pas s'inquiéter de Donald Trump à la présidentielle américaine. C'est sérieux ?
On peut être inquiet mais dans le camp républicain, Ted Cruz, est bien pire, c'est un monstre. C'est le pire candidat que j'ai jamais vu. Lindsey Graham, qui est sénateur républicain lui aussi, a dit que si Ted Cruz se faisait descendre en plein Sénat, il n'y aurait pas un sénateur pour balancer le coupable ! Il est détesté par tout le monde exceptés les Evangélistes... Les élections américaines, c'est de la télé-réalité. C'est au-delà d'une blague, c'est tellement peu démocratique que l'on ne peut en rire. Il y a un enjeu quand même, les démocrates aujourd'hui sont l'équivalent des républicains sous Eisenhower. Les républicains étaient à droite, ils ont viré à la folie. Obama je l'aime bien comme personne, il est très posé, raisonnable, mais ceux qui ont voté pour lui ont connu une grande déception. L'Obamacare (la Sécu américaine) il aurait pu l'imposer et changer les choses mais il a pris un républicain et il fait à peine mieux que ce qu'il y avait avant lui. Sur le Moyen Orient, ça été une catastrophe. Les personnages de mes premiers romans, chômeurs, marginaux, ont encore plus souffert sous ses deux mandatures. Et si on a Hillary Clinton dans quelques mois, ce sera encore pire.