Littérature noire
2 Avril 2016
Il a réalisé des films impérissables, de L'horloger de Saint Paul à Coup de torchon, en passant par L627, La mort en direct, Le juge et l'assassin, L'Appât. Lyonnais de naissance, c'était tout naturel qu'il soit l'invité d'honneur de la 12e édition de Quais du polar qui se tient jusqu'à dimanche soir dans la capitale des Gaules. Bertrand Tavernier, 75 ans, est un très fin connaisseur de la littérature noire. Et de la littérature américaine en général. Casquette blanche de Dave Robicheaux sur son crâne – il en a acheté un paquet sur internet ainsi que des polos du flic de New Iberia - , il dévoile le contenu de son sac, ses derniers achats : plusieurs Robin Cook, un William McIlvanney. « Je lis toujours une trentaine de pages avant de m'endormir. » Entre deux plats, hier midi, cet homme de culture a longuement conversé avec l'éditeur Oliver Gallmeister et son jeune auteur prometteur Jon Bassoff, promenant son regard sur une édition originale de Recoil (Un nid de crotales), par Jim Thompson (1906-1977). Big Jim, justement, qu'il adapte en 1981 avec Coup de torchon, où il met au générique Marielle, Noiret, Huppert, Eddy Mitchell, pour 700 000 entrées.... (photo Mary Ann)
Cela faisait dix ans que je voulais l'adapter, quand je l'ai découvert en feuilleton dans L'Observateur. C'était celui-là, 1275 âmes, Et aucun autre. Tout de suite je sais que je ne peux pas le faire aux Etats-Unis, je n'ai pas les épaules assez solides. J'essaye pendant ce temps de trouver un lieu, une époque, les années 20, les années 30. J'ai contacté Blier, Pérec, qui avait scénarisé Série Noire pour Corneau, pour les mettre à contribution sur le scénario. Ils refusent. Puis je relis Voyage au bout de la nuit et voilà, c'est le monde de Thompson ! Et je ne vois que Jean Aurenche au scénario. C'est un scénariste magistral qui avait travaillé sur L'horloger, Que la fête commence et Le juge et l'assassin. Et il m'avait fait des confidences sur son expérience militaire en Afrique noire. Il a découvert le bouquin avec un mélange d'enthousiasme et de doutes. Dès que j'ai lu sa première scène, quelques échanges, je savais que j'avais le film, avec des dialogues à la Raymond Queneau. On était basé à Saint-Louis du Sénégal, on a tourné dans la ville.
C'était important pour vous d'adapter un tel monument américain ?
J'adorais ce livre tout simplement. Je voulais lui rendre justice avec une description sociale au scalpel qui contrairement à beaucoup d'autres romans ne laisse pas de portes de sortie faciles. On est face aux questions et Thompson ne se charge pas d'y répondre, il met les nerfs à nue. Il montre les rapports de racisme, d'humiliation, de dominations... j'ai éliminé les rapports à l'argent, la question des primes à l'assurance. Le pognon, ça attire les Américains mais pour moi ce n'est pas un truc intéressant. Cela donne toujours des films merdiques ! Aux Etats-Unis quand ils ont vu le film, ce qui les a choqué, c'est lorsque Noiret tue le black, chez eux ça se fait pas.
Enorme succès mais aux César, malgré une dizaine de nominations, rien !
Le film avait été produit par les frères Siritzky, à l'ancienne : après un repas, Jo me demande si je laisse la scène où le chien se lèche les fesses. Je lui dit oui et ça c'est fait comme ça. Quand je pense qu'aujourd'hui j'attends parfois trois mois pour avoir une réponse... Les César ? Cette année-là, c'est le film La balance qui a tout raflé... Je ne veux pas être méchant. J'étais surtout désolé pour les gens du film, la musique, Marielle, le scénario.
Trente ans après, vous vous attaquez à James Lee Burke, Dans la brume électrique (en 2009, avec Tommy Lee Jones. Pas le plus facile dans son œuvre ?
C'est encore un coup de cœur. Je ne prends jamais les trucs les plus faciles, les fantômes c'est ce qui me plaisait. J'ai dormi chez Burke et la première chose qu'il ma demandé, c'est « alors qu'est ce que Georges Schwartz-Bart (Le dernier des Justes)est en train d'écrire ? » C'est un homme d'une très grande gentillesse. Et quel rire formidable. Pas facile Dans la brume ? Pourquoi prendre un roman policier et faire tout ce qu'on déjà fait les Américains ? D'ailleurs les Américains ont monté leur propre version de Dans la brume et ils ont éliminé tous les passages avec les fantômes. On n'arrivait pas à s'entendre. Nous avons eu un désaccord énorme et on a fini par trouver un agrément. Mais mon financier français, TF1 international, qui payait les ¾ du film s'est comporté avec couardise. On a fini par gagner, je possède le négatif du film et c'est ma version qui a été diffusée en Europe. J'avais auparavant tourné aux Etats-Unis, notamment Autour de minuit et Mississippi Blues. Je connaissais les problèmes des syndicats, leur lourdeur administrative. Du coup, on disait à l'équipe qu'on allait faire des essais de pellicule, de lumières, on partait à quatre, en fait on filmait la Nature, avec une doublure de la voiture de Robicheaux et tous ces plans ont été gardés dans le film. Jamais je n'aurais pu le faire durant le tournage. Il faut toujours trois camions, il y a des pénalités de dépassement d'horaires, des encombrements syndicaux, à l'heure, il faut s'arrêter ! Si vous dépassez, ça double les frais. Un chef electro me racontait que sur un film de Tony Scott, qui ne veut jamais s'arrêter pour le repas, il avait gagné 78 000 dollars en 15 jours ! Vous comprenez mieux pourquoi ils font des films à 85 millions de dollars. Attention j'avais des gens formidables dont un ingénieur du son, recommandé par Soderbergh qui m'a fait le plus beau son que j'ai jamais eu.
La Série Noire, vous avez grandi avec ?
Tout à fait. Mais j'ignorais que les textes étaient tronqués, les traductions aléatoires. J'ai encore des éditions en carton. Je suis ensuite passé à d'autres collections, comme Rivages Noir, La Chouette... Je me suis rapproché de Rivages quand j'ai découvert Tony Hillerman, Ellroy, tous les auteurs sortis par Guérif. D'un coup, il y a eu une quinzaine d'auteurs dont JL Burke, Bunker, des auteurs suédois, Elmore Leonard, Don Tracy. Chabrol était un fan énorme de romans policiers, j'avais l'impression qu'il ne lisait que ça.
Qu'est-ce qui vous plaît dans dans les romans noirs ?
Ils sont extrêmement en prise avec la société. Ils parlent des effets de la délinquance, de la pauvreté, de la criminalité organisée, du poids de l'argent. Avec la littérature noire, on pénétrait les prisons, les bagnes... Pour moi, les grands romans noirs étaient des grands romans tout simplement, j'ai rarement lu quelque chose d'aussi sec que La moisson rouge. Burnett, l'auteur de Little Caesar, de Quand la ville dort, vénère Simenon et Mérimée. Mérimée avec Tamango, c'est phénoménal. Il faut le relire.On comprend la part de la France dans l'esclavage, loin des âneries des indignés de la République.
L'adaptation de la BD Quai d'Orsay, c'est inhabituel ?
Je lisais beaucoup de bande dessinée et celle-ci je l'ai achetée à sa sortie, je l'ai lue immédiatement et à mon associé j'ai demandé à ce que l'on achète les droits. J'ai rarement autant ri en écrivant un scénario et on a d'ailleurs terminé le scénario avant que sorte le second tome, du coup on fait des scènes qui ne sont pas dans le BD. Cette adaptation s'est fait rapidement grâce à Jérôme Seydoux et toute l'équipe de Pathé !
Vous avez créé une collection de romans westerns chez Actes Sud, L'Ouest le vrai. Et c'est un succès.
Oui. Avec des œuvres que personne ne connaissait puisque ces livres n'avaient jamais été traduits. Des clairons dans l'après-midi de Haycox est un grand roman épique, extraordinaire sur la cavalerie américaine mais qui a donné un film horrible. On y comprend tout de même les cavaleries chères à John Ford. On a publié les Burnett, dont Houston était fan puisqu'il l'a adapté dès 1932 ! Il le considérait comme le plus grand écrivain existentialiste américain. Cette collection est venue de mon amour pour certains romans qui avaient été ignorés par les éditeurs qui considéraient que c'était des romans pour mômes. Alors que Guthrie par exemple a reçu le prix Pulitzer. Quand on a réhabilité le western, on a oublié l'origine des films. Aucun livre sur l'oeuvre de Hawks n'évoque Guthrie ! La captive aux yeux clairs est pourtant un des premiers livres écologiques, un plaidoyer pour la préservation de la Nature dans le Missouri. Avec Dans un aussi beau pays, il parle des ravages de l'alcool chez les indiens. J'aimais beaucoup le western et je me suis surtout intéressé aux scénaristes.
Est-ce que Bertrand Tavernier a cédé aux charmes des séries télé ?
Pas tellement. C'est ma femme plutôt. Mais j'ai adoré Treme, The Wire, tout ce qu'a fait David Simon en fait. Mais je vais rarement au-delà de la deuxième saison. J'ai aimé Deadwood aussi. Et Justified, dont la première saison était très bonne dans des milieux que le cinéma explore rarement. Un bon polar, avec mafia et tutti quanti. Mais je repère trop la manière des scénaristes de tirer à la ligne pour garder des personnages en vie.
Quels sont vos projets ?
J'ai un documentaire de plus de trois heures, qui est un cri d'amour pour le cinéma français. Mais aussi pour les grands compositeur des musiques de films, les Français étaient les plus grands dans les années 20, 30 ou 40, je veux aussi leur rendre hommage. Cela devrait sortir, vraisemblablement, d'abord pour le festival de Cannes. Puis dans la même veine, il y aura une série de neuf fois une heure où j'aborderai encore d'autre personnages du cinéma français... vous savez de la Corse, je garde un souvenir vibrant de Jean-Pierre Mattei et de certains films que j'ai pu voir grâce à lui. Il y a de vrais trésors à la cinémathèque de Corse.