Littérature noire
29 Avril 2016
C'est le Nord post-industriel. Entre Bray-Dunes à la frontière belge et Dunkerque. Un monde ravagé économiquement et moralement. Avec Le chemin s'arrêtera là (ed. Rivages, 2015), Pascal Dessaint en tire un roman de souffrances, des parcours de déchéances affectives et sociales, des trajectoires de violences et d'alcoolisation. Loin des clichés, l'auteur, né dans ce coin oublié de France, balance un réquisitoire sans concession sur un Etat qui a négligé, voire abandonné, les régions qui ont fait sa richesse. A 51 ans, désormais installé à Toulouse, l'homme à la vingtaine de romans noirs et de nouvelles, lauréat de plusieurs prix (Grand prix de littérature policière en 2010, Grand prix du roman noir de Cognac), n'oublie surtout pas ses origines ch'tis. Sur les bords du Rhône, à l'occasion des Quais du Polar, il se souvient de cette enfance. (Photo Mary Ann)
« Mon père était mineur. Il a quitté la mine pour devenir ouvrier qualifié. J'ai grandi dans le monde prolétaire où l'on ne parlait pas encore de culture mais bien d'instruction. La télévision, nous ne la regardions qu'une fois par semaine, le reste du temps, c'était de la lecture, que de la lecture. Nous allions à la bibliothèque, ma mère disait que c'était important de lire, je me souviens de m'être endormi plus d'une fois avec un bouquin dans les mains. Réellement. » Voilà pour la première révélation du Livre. En grandissant, c'est son aîné Eusebe qui va l'enchanter par les mots. Eusebe Dessaint, poète, auteur notamment d'En quête de chemins, va lui donner le goût et même cet amour des mots que l'on retrouve aujourd'hui dans ses romans. A l'adolescence, occupé à lire indifféremment Maupassant, comme Bataille ou Bukowski, Pascal va découvrir la puissance du vocabulaire, du verbe. « Pour tout dire, je n'étais pas dans un moule roman noir ou polar. Je ne savais pas ce que cela voulait dire, même ce que c'était. Quand j'ai lu La dame du lac de Chandler, on m'a dit que c'était du polar ! Bon d'accord. J'avais l'ambition d'être écrivain, franchement mais je ne savais pas de quoi. J'ai fait mes études d'histoire, j'ai eu mon DEA de civilisations chinoises et puis j'ai commencé à travailler pour vivre, à faire le veilleur de nuit dans un hôtel, dans un musée, puis le serveur, voire le géomètre sur autoroute. » Pendant tout ce temps, il noircit des feuilles, écrit avec la meilleure des énergies et pond son premier roman à 18 ans... Il lui faudra attendre 10 ans avant d'être enfin publié. Bel entêtement non ? C'est que le jeune homme, pas vraiment du sérail, n'est pas très au fait des mœurs éditoriales, il ignore à qui s'adresser, évolue dans une sorte de brume littéraire. Entre rêve et ignorance. Et presque défaitisme. Son père lui-même, tranche : « peut-être, ce n'est pas pour toi. » Mais Pascal Dessaint s'enhardit. Un soir, Daniel Pennac est de passage à Toulouse. Notre auteur en devenir va voir l'auteur alors en pleine bourre avec sa saga Malaussène. Celui-ci prend le temps d'écouter le résumé du Toulousain. Et lui révèle qu'il s'agit de littérature noire, lui glissant même le nom de l'éditeur Robert Soula, à la Série Noire, avec sa recommandation. C'est le début. « Oui parce que là je commençais vraiment à sentir la gêne de mes amis. Vous savez quand ils vous disent, le regard ailleurs, « c'est bien ce que tu écris »... Robert Soula, au moins, m'a répondu dans une longue lettre, m'a dit que j'avais un bel univers mais que ce n'était pas pour lui. C'était déjà bien. Et puis je suis tombé sur les éditions L'incertain qui ont pris De quoi tenir dix jours et Une pieuvre dans la tête. Ils avaient de l'audace. » La suite s'écrira avec Rivages. François Guérif, le patron, se souvient bien : « il y a 20 ans, Michel Lebrun me fait lire Une pieuvre dans la tête. J'ai aimé. Puis Mesplède je crois, le guide vers moi. Il m'envoie son premier manuscrit, je décide de le publier mais je lui change le titre, c'est La vie n'est pas une punition... Avec Pascal on arrive à avoir ce partenariat auteur-éditeur, il me soumet ses projets, on en discute. C'est quelqu'un qui voulait être écrivain, construire une œuvre qui refléterait ses pensées. Il a vécu, il a évolué, ses livres sont de plus en plus profonds, émouvant, notamment avec son retour dans le Nord, sur les terres de son enfance, dévastées par le chômage. Il a un regard sur le monde qui l'entoure. Son écriture fine, sa maturité actuelle, font de lui une vraie voix et un auteur enfin reconnu à sa juste valeur. Il était sous estimé mais ce n'est plus le cas croyez-moi. »
Pascal Dessaint, homme affable, d'une simplicité désarmante, demeure une véritable éponge, de ces humains à la mémoire colossale, capable d'ingérer, de synthétiser, mais aussi de s'émouvoir, encore. C'est René Belleto, auteur de polars dans la ville de Lyon, qui lui fait comprendre que c'est possible d'écrire remarquablement, sur une ville, sur une région. Mais sa grande leçon, il la prendra peut-être chez Hubert Selby Jr (Last exit to Brooklyn, ed. Albin Michel). Marin à 15 ans, puis tuberculeux à 18 qui n'avait rien lu de sa vie et tira profit de sa maladie pour tout lire, de Proust à Dostoievski. Dessaint n'a jamais été marin. Ni tuberculeux. Mais c'est vrai qu'il s'est rôti les pupilles sur des milliers de romans. « Lui, il m'a fait penser la littérature en terme de musique, de rythmique sans oublier la couleur de l'écriture. » Mais Dessaint, c'est aussi – voire beaucoup – une présence écologiste dans ses romans (lire Le bal des frelons pour saisir la finesse du discours). La passion des oiseaux, par exemple, il en a hérité dans son Nord natal. Mais plus que de défense de la Nature, il parle de connaissance de la Nature. Et avoue « flipper » quand il apprend la disparition d'une espèce. C'est tout le sel du génial Mourir n'est pas la pire des choses. Homme de mesures, il n'en fait pas des tonnes sur le désastre environnemental, il ne dévie pas de son désir de raconter une bonne histoire mais glisse son désespoir ou au minimum, son inquiétude. Accoudé à une table de café, d'un coup s'approche l'auteur néo-zélandais, Paul Cleave (Un employé modèle, ed. Sonatine). Retrouvailles dans cette Mecque des polardeux, accolades chaleureuses, rires. C'est que l'auteur nordiste est un sacré voyageur, doublé d'un bon marcheur. Les Philippines, le Liban, le Mexique... la Corse. Puisque l'an passé, il était à Porto-Vecchio, pour une résidence d'auteur d'une semaine, chez Jean-Luc Bizien, de la librairie Lire au soleil : « une parenthèse, pour se ressourcer, un vrai moment de calme ».
Il en a besoin, lui, qui publie quasiment un titre par an. Et qui vit de sa plume depuis environ 20 ans. Un métier dur qu'il défend jusque dans les ministères : « j'ai fait une lettre ouverte à Manuel Valls il y a quelques semaines pour lui rappeler que les écrivains sont dans la précarité, sans statuts, sans droits au chômage et que le projet d'augmenter leurs cotisations étaient d'une absurdité sans nom. On a été reçu mais c'est quand même lamentable de voir de telles mesures venant de ce gouvernement-là. »
Il y a du Ken Loach dans Pascal Dessaint, dans sa façon d'être toujours dans une colère à peine contenue, de se révolter encore et toujours et d'en parler sans haine, sans caricature. Homme de passions, il est un auteur à (re)découvrir et à écouter.