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The killer inside me

Littérature noire

La fabrique du monstre : ce Marseille que l'on ne veut pas voir

La fabrique du monstre : ce Marseille que l'on ne veut pas voir

" Tandis qu'en 2007, Villiers-le-Bel puis tout le Val d'Oise se révoltaient par l'émeute, Marseille le faisait par le braquage. " Avec cette simple phrase, Philippe Pujol arrive à faire, en partie, comprendre la situation criminelle de Marseille, dans La fabrique du monstre. La cité phocéenne qui, depuis dix ans connaît un taux de règlements de compte proprement hallucinant qui, de plus, touche des mômes, souvent à peine majeurs, parfois encore mineurs. Des gamins issus de l'immigration et tous installés dans les fameux quartiers nord. Prix Albert Londres 2014 pour l'ensemble de ces reportages sur ces cités, l'ancien journaliste de La Marseillaise s'essaye dans ce livre à tenter une explication sur, à la fois la réalité du terrain et l'analyse politique. Deux parties qui donnent, a priori, un livre assez déséquilibré, passant des halls d'immeubles pourris aux ors de la mairie de Marseille, du conseil général des Bouches du Rhône.Pourtant les deux faces de cet essai sont très intéressantes et pourrait facilement être une source d'inspiration éventuelle pour n'importe quel auteur de roman (très) noir.

L'immersion de Philippe Pujol dans la cité Bassens, au parc Kallisté, à la Busserine, dans les 13e et 14e arrondissements rappellent presque le Tristes Tropiques de Levi Strauss, tant il y a de l'anthropologie dans ces pages. Beaucoup de témoignages, de détails, de modes de vie et aussi une enquête autour de Kader abattu de plusieurs balles devant un Campanile, une Rolex de 5 000 euros au poignet. Le reporter retrace la vie de ce jeune de 22 ans, le père qui l'a envoyé au bled pour qu'il arrête les conneries, les amitiés délinquantes, l'envie de flamber. Mais Pujol va plus loin, rencontre la mère et surtout suit ce père qui, fou de haine, clame qu'il va faire un carnage chez les assassins de son fils avant de se faire lui même tuer au volant de sa voiture... L'auteur raconte bien, ne manque pas d'humanité et n'oublie pas d'expliquer la situation géographique, sociologique et évidemment économique de ces quartiers.

Puis, il passe à tout autre chose ou presque. La politique. La chute de Sylvie Andrieux, député-maire PS, tombée il y a deux ans pour détournement de fonds publics, après avoir été décorée en 2008 de l'Ordre du mérite par Sarkozy. Le clientélime. Il évoque aussi les amitiés et la famille d'une autre personnalité politique, Samia Ghali. Le clientélisme encore. Puis s'intéresse à Jean-Claude Gaudin, à ses liens avec l'Opus Dei et les promoteurs immobiliers de la Région. Avant de finir sur Jean-Noël Guerini, président déchu du conseil départemental. Une façon pour Philippe Pujol de démontrer à quel point le clientélisme, omniprésent, pourrit la cité phocéenne plus que jamais gouvernée par une clique bourgeoise qui n'a aucun intérêt à ce que les choses changent, au risque de perdre le pouvoir, qu'il soit grand ou petit. Clairement, apparaît un fossé entre très riches et très pauvres au sein d'une même commune.

Un essai instructif, où les Marseillais verront confirmer certaines choses qu'ils savent depuis des années, en apprendront d'autres aussi sans doute. Pour tous les autres, une plongée fascinante sur une ville qui n'en finit pas de vouloir renaître.

La fabrique du monstre, ed. Les arènes, 316 pages, 20 euros.
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