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The killer inside me

Littérature noire

Pottsville, 1280 habitants : tout le talent de Jim Thompson réuni (21)

Pottsville, 1280 habitants : tout le talent de Jim Thompson réuni (21)

Nick Corey est vraiment un sale mec. Mal marié à Myra, hystérique qui a ramené son attardé de frère dans leur couple, il va satisfaire ses instincts dans les bras de Rose. Une femme régulièrement battue pat un mari saoulard et querelleur. Et parce que Nick n'en a jamais assez, il se retrouve aussi dans le lit d'Amy, celle qu'il aurait dû épouser si Myra ne lui avait pas mis le grappin dessus. Pourtant, il n'a rien d'un Apollon. On le prend même plutôt pour un crétin dans cette petite ville texane de Pottsville. Et cela le chiffonne. Il va donc d'abord se débarrasser des deux maquereaux qui n'arrêtent pas de l'humilier publiquement : une balle dans la tête à chacun. Quant au mari de Rose, ce Tom acariâtre et raciste, " les deux charges de chevrotine ne lui règlent pas son compte sur le champ, mais il décline vite. Je veux qu'il reste encore en vie pendant quelques secondes, le temps qu'il savoure les trois ou quatre coups de pied que je lui balance à toute vitesse. Vous pourriez penser que ce n'est pas très gentil de flanquer des coups de pied à un type en train de mourir et c'est peut-être vrai. " Cynique, machiavélique, Nick Corey mène sa barque comme il l'entend, bien décidé à garder son poste. Parce que oui, précision importante, il est le shériff de Pottsville.

Jim Thompson écrit Pop. 1280 en 1964, à 58 ans et ce sera quasiment son dernier chef d'oeuvre, avec Rage Noire (1972). Rarement, l'auteur de l'Oklahoma aura atteint un tel niveau de précision dans son personnage principal, mêlant le cynisme, la mauvaise foi à l'intelligence et l'antiracisme. Car Nick Corey n'est pas qu'un abruti loin s'en faut. C'est l'image qu'en ont les habitants de Pottsville mais lui n'est pas dupe : s'il n'use pas de son autorité c'est justement pour ne contrarier personne et conserver son poste de shériff (au passage, le premier boulot de papa Thompson). Lorsqu'il dégaine, il se garde bien de le faire en plein jour ou en public surtout. Il veut passer pour un couard ; la meilleure façon de tromper tout le monde. Big Jim a dû par ailleurs garder quelques souvenirs de son enfance texane (le roman se déroule en 1917) et sa défense, drôle et sincère, des Noirs révèle un personnage plus complexe qu'il n'y paraît. Tout Jim Thompson est ainsi dans ce roman, avec une maîtrise rare des dialogues, de vraies parties de ping pong notamment avec ses femmes, piliers, elles aussi, de cette histoire, des moments irrésistibles où l'auteur met sans doute beaucoup de lui-même.

Entre L'assassin qui est en moi et Le Texas par la queue, Pottsville Pop. 1280 (superbement retraduit par Jean-Paul Gratias) est une synthèse délirante qui, sans se prendre au sérieux, est d'une méchanceté et d'une noirceur inoubliable. Thompson y dénonce la plouquerie, les notables, le poids des rumeurs, la perversité féminine... Quel homme !

Pottsville Pop. 1280 (trad. Jean-Paul Gratias), ed. Rivages, 271 pages, 8 euros.
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C
Merci Raymond pour ces précisions. Je reconnais que je n'ai pas fait attention au temps utilisé et c'est capital dans le recul que prend alors Nick. Vous l'avez donc lu en VO ? J'assume le superbement retraduit par rapport à l'autre version. Je suis un peu moins fan de Michalski sur les James Lee Burke où l'on a eu l'impression que les hommes du bayou parlaient le ch'ti. Même réflexion avec la traduction de Giancarlo de Cataldo quand ses voyous romains parlent comme des Marseillais. Mais merci de votre com'. J'essayerai d'être plus attentif. Un mot sur la trad' de Crumley par Jacques Mailhos ?
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R
Jacques Mailhos est un excellent traducteur. Je n'ai pas lu sa récente traduction de Crumley, mais je connais bien celles qu'il a faites de Ross MacDonald et de Jim Tenuto. Elles sont d'autant plus intéressantes que, chez MacDonald comme chez Tenuto, on a affaire à un narrateur à la première personne, donc à des récits qui ont une grande parenté formelle avec le roman de Jim Thompson. Imaginez Lew Archer racontant ses histoires au présent : ce serait d'une platitude sans nom ! Et Mailhos va même plus loin, il ne craint pas de recourir au passé simple, ce qui est toujours délicat à la première personne : "je joignis, je reçus, je fis, j'eus"... Mais tout cela, mêlé aux imparfaits qu'aimait Proust, aux plus-que-parfaits qui creusent encore la mélancolie du passé, aux conditionnels présents qui se projettent vers l'avenir, tout cela est magnifique et nous enchante ! Sans parler de la précision et de l'élégance des traductions de Mailhos. Et dire que Gratias nous a "bousillé" le chef-d'oeuvre de Thompson en l'aplatissant inexorablement sous la monotonie du présent de l'indicatif ! Je dois avouer que je ne parviens pas à comprendre les raisons de son choix : est-ce qu'il pense que le lecteur de romans policiers est trop stupide pour comprendre le jeu et le charme des temps du passé ? Ou que le lecteur de romans policiers, après tout, ne mérite pas qu'on en fasse davantage pour lui ? Est-ce mépris de ses lecteurs, paresse intellectuelle, absence complète d'une sensibilité littéraire, ou tout simplement ignorance et incompétence ? Je suis extrêmement fâché contre ces traducteurs de polars qui, par leurs trahisons, dénaturent un genre qui n'a déjà que trop de peine à acquérir, en France, le statut de littérature à part entière. Ce qui n'est pas du tout le cas dans les pays anglophones où des écrivains comme James Lee Burke, Elmore Leonard, Donald Westlake, Craig Johnson, Andrew Coburn, sans parler bien sûr des Chandler, Hammett, Crumley, sont encensés par la critique et reconnus comme des écrivains authentiques. Ce qui serait beau, mais bien sûr trop beau pour être vrai, ce serait que Gratias et Guérif fassent immédiatement amende honorable en retraduisant et en republiant "Pop. 1280" ! Et - allons, ne soyons pas pingre - en l'offrant gratuitement à ceux qui ont eu la malchance d'acheter la traduction falsifiée ! Et Guérif, tant qu'à faire, pourrait confier cette nouvelle et définitive traduction à Jacques Mailhos...
R
"Superbement retraduit par Jean-Paul Gratias" : j'hésite à être d'accord avec vous ! D'abord, le traducteur fait passer le récit de Nick du passé au présent. Quand Thompson a décidé de faire parler son héros au passé, il savait ce qu'il faisait. Ce que Nick nous raconte, il le fait avec un regard rétrospectif qui lui permet de glisser des réflexions, des jugements, des regrets, etc., sur le Nick qui ETAIT dans l'action. Il y a le Nick qui raconte et celui qui AGISSAIT. Ce qui change tout et donne un ton, un style, une profondeur temporelle à l'histoire que nous lisons. On ne verra jamais un traducteur de James, Melville, Poe, Tolstoï ou Stevenson se permettre une telle liberté. Mon autre réticence porte sur la traduction proprement dite. Voici le 1er paragraphe du chapitre 2, en réalité le début du récit de Nick : "Ce matin-là, je sors de mon lit, je me rase et je prends un bain, alors qu'on était seulement lundi et que je m'étais récuré à fond l'avant-veille." "Ce matin-là", on s'attend naturellement à un passé, comme dans l'original ! Les trois présents qui suivent sonnent comme de grosses maladresses. "alors qu'on était" : que viennent faire ici cet imparfait, et le plus-que-parfait qui suit ? C'est complètement incohérent ! Jamais personne ne parlerait ainsi, et c'est pourtant ce qu'il fallait donner comme impression : celle du langage parlé. Gratias aurait dû traduire : "Ce matin, je sors de mon lit, je me rase et je prends un bain, alors qu'on est seulement lundi et que je me suis récuré à fond avant-hier." Mais en réalité, pour être fidèle au grand Thompson, il aurait dû traduire : "CE MATIN-LA, JE SUIS SORTI DE MON LIT, JE ME SUIS RASE ET J'AI PRIS UN BAIN, ALORS QU'ON ETAIT SEULEMENT LUNDI ET QUE JE M'ETAIS RECURE A FOND L'AVANT-VEILLE." Cela changeait tout et cela aurait ressemblé à du Thompson. Tout cela pour dire que j'attends d'une traduction de roman policier la même fidélité que celle des traductions des autres romans de la littérature. Surtout lorsqu'il s'agit d'auteur de la trempe de Jim Thompson. Alors "superbement retraduit" ? Non. Une grande traduction de Pop. 1280 est encore à venir. PS On parle souvent des retraductions chez Rivages/Noir, enfin complètes, fidèles, etc. C'est vrai, il y en a d'excellentes, comme celles de James Lee Burke par Freddy Michalski par exemple, mais pour beaucoup d'autres, quel gâchis, quels à-peu-près ! Leur mérite principal est d'être complètes, mais c'est bien le moins qu'on puisse attendre d'une traduction et il n'y a pas de quoi s'en gargariser outre mesure. Guérif ferait bien d'être plus attentif dans le choix de ses traducteurs.
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L
J'ai adoré ce livre !! :)
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