Littérature noire
4 Mai 2016
Nick Corey est vraiment un sale mec. Mal marié à Myra, hystérique qui a ramené son attardé de frère dans leur couple, il va satisfaire ses instincts dans les bras de Rose. Une femme régulièrement battue pat un mari saoulard et querelleur. Et parce que Nick n'en a jamais assez, il se retrouve aussi dans le lit d'Amy, celle qu'il aurait dû épouser si Myra ne lui avait pas mis le grappin dessus. Pourtant, il n'a rien d'un Apollon. On le prend même plutôt pour un crétin dans cette petite ville texane de Pottsville. Et cela le chiffonne. Il va donc d'abord se débarrasser des deux maquereaux qui n'arrêtent pas de l'humilier publiquement : une balle dans la tête à chacun. Quant au mari de Rose, ce Tom acariâtre et raciste, " les deux charges de chevrotine ne lui règlent pas son compte sur le champ, mais il décline vite. Je veux qu'il reste encore en vie pendant quelques secondes, le temps qu'il savoure les trois ou quatre coups de pied que je lui balance à toute vitesse. Vous pourriez penser que ce n'est pas très gentil de flanquer des coups de pied à un type en train de mourir et c'est peut-être vrai. " Cynique, machiavélique, Nick Corey mène sa barque comme il l'entend, bien décidé à garder son poste. Parce que oui, précision importante, il est le shériff de Pottsville.
Jim Thompson écrit Pop. 1280 en 1964, à 58 ans et ce sera quasiment son dernier chef d'oeuvre, avec Rage Noire (1972). Rarement, l'auteur de l'Oklahoma aura atteint un tel niveau de précision dans son personnage principal, mêlant le cynisme, la mauvaise foi à l'intelligence et l'antiracisme. Car Nick Corey n'est pas qu'un abruti loin s'en faut. C'est l'image qu'en ont les habitants de Pottsville mais lui n'est pas dupe : s'il n'use pas de son autorité c'est justement pour ne contrarier personne et conserver son poste de shériff (au passage, le premier boulot de papa Thompson). Lorsqu'il dégaine, il se garde bien de le faire en plein jour ou en public surtout. Il veut passer pour un couard ; la meilleure façon de tromper tout le monde. Big Jim a dû par ailleurs garder quelques souvenirs de son enfance texane (le roman se déroule en 1917) et sa défense, drôle et sincère, des Noirs révèle un personnage plus complexe qu'il n'y paraît. Tout Jim Thompson est ainsi dans ce roman, avec une maîtrise rare des dialogues, de vraies parties de ping pong notamment avec ses femmes, piliers, elles aussi, de cette histoire, des moments irrésistibles où l'auteur met sans doute beaucoup de lui-même.
Entre L'assassin qui est en moi et Le Texas par la queue, Pottsville Pop. 1280 (superbement retraduit par Jean-Paul Gratias) est une synthèse délirante qui, sans se prendre au sérieux, est d'une méchanceté et d'une noirceur inoubliable. Thompson y dénonce la plouquerie, les notables, le poids des rumeurs, la perversité féminine... Quel homme !
Pottsville Pop. 1280 (trad. Jean-Paul Gratias), ed. Rivages, 271 pages, 8 euros.