Littérature noire
30 Juin 2016
L'histoire de Laurent Fiocconi pourrait ressembler à celle de nombreux calabrais, siciliens ou corses, élevés dans une région trop pauvre pour les nourrir. Fiocconi naît en 1941 à Perpignan. Sa mère, du village de Pietralba veut le soustraire à son mari, Laurent Giudicelli, originaire de Popolasca et issu d'une longue lignée de voyous qui régnaient un peu sur Paris, Toulon, Marseille. Finalement le père récupère l'enfant et l'embarque vivre à Paris. Pour le jeune Fiocconi, la Corse ce sera l'été d'abord, au village de sa mère mais aussi lors des élections. Le reste de son éducation se fera auprès des oncles caïds, des cousins et aussi auprès de l'administration pénitentiaire grâce à laquelle il passera un très utile diplôme de ferronnier. Très vite, c'est-à-dire à sa majorité, Laurent Fiocconi va faire le proxo. Puis ce sera l'armée, le mitard et le retour à Marseille avec une première sale affaire de meurtre dans un bar. Ce sont les années 60, l'auteur va commencer à fréquenter Jean-Claude Kella. C'est le temps des braquages de banques dans l'Espagne franquiste et des premiers trafics d'héroïne vers New-York avec le clan Genovese : « le kilo on l'achetait 800 dollars à Marseille et on le revendait 12 000 aux Etats-Unis. » Laurent Fiocconi va mener grand train. Premier stop, avec une arrestation spectaculaire en Italie et une extradition vers New-York. Première condamnation à 25 ans de prison ! Et une seconde de 20 ans qui se profile. En 1974, grâce à un jeu de fausses clefs, il s'évade toutefois du pénitencier d'Atlanta. Direction Bogota. C'est dans ce pays qu'il rencontre la femme de sa vie, Nine. Puis qu'il se fait de nouveau pincer. La DEA retrouve sa trace, vient l'entendre dans sa taule. Fiocconi trouve alors un nouveau stratagème – et des complices, nombreux - pour s'évader. A partir de cette époque, milieu des années 70, Laurent Fiocconi va devenir une référence dans la transformation de la cocaïne, il va patiemment apprendre, au cœur de la jungle colombienne, et gagnera son surnom d'El Mago, celui qui peut transformer 10 kilos de pâte de coca en 11 kilos de poudre... De là, les rencontres avec Escobar, Carlos Ledher, les frères Ochoa.
Le Colombien se lit comme un roman d'aventures avec, bien sûr, cette désagréable impression que l'on touche là à l'un des pires fléaux de la société moderne. Violence, meurtres, corruption, enlèvement, Laurent Fiocconi n'élude rien, dans une langue vraie, peu châtiée, parfois obscure même, teintée d'humour parfois. D'avion en bateau, en Mustang Shelby, en hôtels de luxe, parfois dans des hamacs, la vie d'El Mago ne ressemble à aucune autre. Avec, toujours, ce risque que ce soit le dernier jour de liberté. Ou le dernier jour tout simplement... Le commun des mortels évoque, sans savoir pourquoi finalement, le bon vieux temps des « beaux mecs », supposés moins violents que les voyous d'aujourd'hui. L'auteur nous dit qu'il n'en est rien. Le Milieu, particulièrement en Amérique du Sud, n'a jamais été connu pour sa tendresse. Un livre forcément instructif.
Le Colombien, ed. La manufacture de livres, 284 pages, 7, 90 euros.