Littérature noire
14 Octobre 2016
Emilie a vu sa vie voler en éclat le jour où sa voiture a été percutée par le pick up de Simon sur une petite route du sud-ouest. A 35 ans, elle perdait sa jambe gauche mais surtout toute illusion sur la vie, toute sociabilité. Elle, l'infirmière, folle de danse, entre dans une névrose mortifère, démissionne, déménage et se retrouve à trimer dans un élevage de chiens. A dormir dans un mobile home crasseux. Avec une idée fixe : retrouver Simon. Lui faire payer.
Emilie y arrive dès cette magistrale scène d'ouverture d'En douce. Une véritable chorégraphie des corps, séduction, tension, un enchaînement dramatique et inattendu que Marin Ledun maîtrise à la perfection. Pour l'auteur, En douce n'est pas un énième thriller sur la vengeance ou le kidnapping mais plutôt un roman noir social où il interroge le lecteur sur la place de chacun dans ce monde, dans cette France en l'occurrence. La place de la victime dans un monde qui célèbre d'abord, et exclusivement ?, les vainqueurs. Emilie est violente, psychopathe mais elle est le fruit de cet univers sans horizon, de cette classe moyenne qui "bosse toute sa vie pour payer sa pierre tombale " dirait Trust. La prothèse, Emilie ne l'a jamais acceptée, consciente des regards interloqués des mecs qui la croisent, des fantasmes que cela fait naître. Elle s'humilie volontairement. Et donc Simon va en baver. Pour l'accident, pour la perte de son job, pour tout. Avec une balle dans la cuisse, de toute façon le piège s'est refermé sur lui, pauvre ouvrier agricole, sans casier judiciaire ni même le souvenir de la personne qu'il a percutée ce jour-là. Un pauvre gars retenue par une pauvre fille.
On retrouve sensiblement le Marin Ledun, revendicatif et social, des Visages écrasés, avec ce souci des petites gens, de la vie en province et de son rythme pépère, de ses apparences un brin ringardes. Une vie que, peut-être, Emilie va finir par accepter. Après le diptyque basque, Ledun confirme son statut de nouveau pilier du roman noir français.
En douce, ed. Ombres Noires, 251 pages, 18 euros.