Littérature noire
10 Novembre 2016
" La Pologne est moche. Pas entièrement, bien sûr, aucun endroit n'est entièrement vilain. Mais si on établissait un classement, la Pologne serait le plus laid des pays d'Europe. " Teodore Szacki n'est pas un grand fan de son pays. Ni d'Olsztyn où il vient d'être nommé procureur en chef. Il y a d'abord la météo de cet hiver qui le rend dingue. Mais il y a aussi l'architecture grise et anarchique qui a anéanti l'héritage prussien. Sans oublier des embouteillages hallucinants. Pour ne rien gâcher, il ne se passe rien dans cette ville joyeuse. Pas un assassinat, pas de grands braquages, pas de mafia... L'ennui total pour ce quadragénaire très cynique, mais drôle aussi, débarqué ici avec sa fille de 16 ans et désormais en couple avec une sexy Zenia. Rien ne se passe sauf ce matin : découverte d'un squelette. Comme il y en a des centaines depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Oui mais ce squelette aux os parfaitement blanchis n'a que quelques jours. Seul un bain de soude a pu produire un tel effet. Szacki tient peut-être l'affaire qui va lui faire aimer Olstzyn.
C'est donc le retour de cet improbable procureur, héros assez original dans le paysage de la littérature noire. La rage est malheureusement, d'après Zygmunt Miloszewski, son troisième et dernier roman en compagnie de Sczacki, après donc Les Impliqués et Un fond de vérité (ce dernier absolument irrésistible à tous les niveaux). S'il évoquait l'antisémitisme dans son précédent opus, le romancier polonais s'attaque cette fois au sort des femmes dans son beau pays. Une question pas anodine puisque le gouvernement songerait en ce moment-même à remettre en cause le droit d'avorter ! Mais dans La rage, il s'agit plus cruellement des violences domestiques faites aux femmes. Et aux enfants. Sans tomber dans l'alcoolisme primaire, il s'agit d'une chape de plomb qui touche toutes les couches sociales. Miloszewski s'intéresse notamment à une jeune épouse qui n'arrive pas à dire sa peur, ses craintes au procureur Szacki. Une entrevue qui aura des conséquences dramatiques. Riche en rebondissements, bourrée de personnages à se tordre de rire, et toujours aussi sensible, cette troisième aventure du procureur le plus swag de Pologne ne s'enlise jamais dans les chemins boueux d'Olstzyn, bien au contraire. Autour d'un wodunit classique, l'auteur réalise un polar à la fois très social, drôle et nerveux. Evidemment le premier intérêt de cette trilogie, c'est bien ce procureur soupe au lait, râleur, de mauvaise foi, amateur de beaux costumes et de bouillon aux pierogis (?!), procureur qui, en Pologne, mène directement l'instruction. Un personnage que l'on a du mal à quitter tant il est pétri de tous nos défauts. C'est aussi l'occasion de voir un petit bout de ce pays dont sauf à être fan du Legia Varsovie, de Behemoth ou de Lech Walesa, on ne connaît finalement pas grand chose.
La rage (trad. Kamil Barbarski), ed. Fleuve noir, 535 pages, 21, 90 euros.