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The killer inside me

Littérature noire

Le garçon : prodigieux conte sur l'amour, la mort, la détresse

Coup de tonnerre de Marcus Malte ! L'auteur a digéré 20 années d'écriture de romans noirs, sociaux, de polars, de nouvelles, pour écrire Le garçon, oeuvre sans nul doute la plus aboutie, dans le fond comme dans la forme. On retrouve dans ces 535 pages, sa volonté d'effacer les identités pour toucher à l'universel, on retrouve aussi le goût si émouvant de Malte pour les garçons un peu perdus, décalés, presque fous (Cannisses, ed. Polaroid) mais surtout, avec la délicatesse qui lui est propre, il dénonce les puissants de ce monde, leurs luttes guerrières, leurs massacres, leurs injustices. Et célébre l'amour fou, intense. Le garçon, c'est une formidable histoire d'amour, de morts et de malheurs.

Le garçon n'a pas de nom. Totalement muet, il quitte, à dix ans, le sud de la France à la mort de sa mère. En cette année 1908, le sauvageon qu'il est va être d'abord recueilli dans un hameau de paysans. Il y apprendra les rudiments de la dure vie en communauté. Puis c'est un lutteur de foire qui le prend sous son aile. Là, il découvre la générosité de coeur, la fraternité et un peu la philosophie. Enfin, il échoue chez la belle Emma et son père Gustave. Des bourgeois, ouverts d'esprit, bienveillants, cultivés. Plus qu'une soeur, Emma va devenir une amante ardente, elle va lui enseigner les délices du sexe mais aussi de Mendelhson, de Verlaine, de Sade. Puis c'est 1914 et l'autre face de l'humanité. Enrôlé sur le front, le garçon va se battre avec courage, audace et folie...

Le garçon, c'est la vie célébrée dans tout ce qu'elle a de plus magique et de plus horrible, littéralement. Ce gamin, jamais perçu comme un handicapé malgré son mutisme (les émotions les plus fortes étant les plus silencieuses), a la chance de vivre intensément, le bonheur de connaître des expériences extrêmes. Il est l'enfant zéro, la page vierge de l'humanité sur laquelle Marcus Malte écrit les sentiments les plus forts. Véritable conte, ce roman sur le début du XXe siècle, a quelque chose d'initiatique mais pas seulement pour le personnage principal, pas seulement pour le lecteur, pour l'humanité également à travers cette première guerre mondiale, celle qui s'annonce déjà ensuite, mais aussi en terme de vie culturelle, industrielle. C'est un lieu commun de dire que le modernisme est arrivé après 1918 mais la puissance de Marcus Malte est de le faire ressentir, de faire trembler l'ancien monde, de le voir s'effondrer entre les pages. Et puis Le garçon, c'est enfin une narration d'une rare intelligence, l'auteur s'offrant des scènes d'une sensualité magnifique, dans une poésie bouillante. Mettant encore plus en lumière, l'enfer du front : " devant, derrière, autour. Des morts-vivants. Il est l'un deux. Il suit le flot. Il transpire. L'air brûle. La sueur lui coule dans les yeux. Il court. Et toujours le bruit, le bruit si massif et dur qu'on pourrait le toucher, s'y cogner, un mur de bruit, un roc, une avalanche de bruit qui n'en finit pas de rouler, rouler et qui fait vibrer l'air et trembler le sol et qui l'assomme, qui l'écrase, qui l'ensevelit. Pute borgne ! Je suis touché ! "

Très grand roman, d'une émotion rare (attention la scène où le garçon retrouve son cheval...), Le garçon couronne le talent de Marcus Malte avec un prix Femina qui lui va comme un gant. Un prix discret mais important. Comme lui.

Le garçon, ed. Zulma, 534 pages, 23, 50 euros.
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