Littérature noire
15 Février 2017
La responsabilité de l'Etat mexicain sur les massacres, les dizaines de milliers de disparus depuis vingt ans. Sa responsabilité, à travers l'armée, la police, plutôt que celle, unique et un peu 'facile" des narcotrafiquants, dans la terreur qui tétanise le pays et vide de ses habitants plusieurs régions. Ni vivants ni morts, de Federico Mastrogiovanni, est un formidable travail d'enquête de plusieurs années au Mexique. Journaliste, Mastrogiovanni y habite depuis 2009, formé à la rude école italienne des grands reporters, son livre puise ses informations à la source de témoignages de parents, de rescapés, de responsables d'associations pour les Droits de l'Homme mais aussi auprès de scientifiques.
Il y a ainsi les parents d'Alan qui raconte comment leurs fils a été enlevé un soir qu'il jouait au foot avec ses copains. Alan qui sera retrouvé en caleçon, pieds et poings liés, remis à un commissariat puis, plus rien. "Il a voulu partir" diront les policiers. "A moitié nu, en pleine nuit ?" s'offusquent les parents opiniâtres. Cela s'appelle les disparitions forcées, un système bien différent des enlèvements, dont l'origine remonte au IIIe Reich : les habitants disparaissent, aucune rançon, aucun corps rendu. La terreur est maximum. Il y a aussi le cas du fils de Nepomuceno, enlevé par des policiers. Le père fera un ramdam au plus haut niveau de l'Etat avant de se faire abattre en novembre 2011 à 12h30 en plein coeur de Mexico. Disparitions forcées mais aussi criminalisation des victimes, toujours présentées, faussement, comme ayant des liens avec un cartel, des voyous. Pour cela le président Calderon (2006-2012) est clairement pointé du doigt dans le livre mais tout autant son successeur Pena Nieto. Car aux disparitions forcées, il faut ajouter des massacres véritablement de masse, avec les 43 étudiants d'Iguala en septembre 2014. Par A + B, Mastrogiovanni démonte les mensonges du procureur de la République sur l'enquête et illustre l'incompétence mais aussi la corruption à grande échelle de ce pays. Car outre le premier massacre de 22 personnes à Tlataya, en juin de cette même année, c'est la présence étrangère qui interpelle. " C'est l'ambassadeur des Etats-Unis au Mexique, c'est lui qui dicte les politiques de sécurité de l'Etat...Qui était dans le Michoacan au mois d'octobre ? L'ambassadeur des Etats-Unis..." Pas juste une théorie du complot mais bien une réalité, étayée par deux faits. Les investissements énormes de compagnies canadiennes pour exploiter de juteux filons d'or dans la région du Guerrero, au sud du Mexique. Région vidée de ses habitants. De même, quatrième pays de la planète en terme de gisements de gaz de schiste, avec la réforme industrielle, ce sont les compagnies yankee qui mettent la main sur ce marché, dans des coins où après que les narcotrafiquants et l'armée ont bien "oeuvré", la catastrophique fragmentation hydraulique peut entrer en scène...
Terriblement riche en informations, précis, effrayant, Ni vivants ni morts rappelle aux lecteurs à quel point la démocratie peut aussi être un masque acceptable. Le Mexique est un pays saigné, avec à Ciudad Juarez, en 2009, une femme assassinée toutes les 20 heures, et 30 000 personnes évaporées, tuées... ou pas. C'est aussi ça Ni vivants ni morts, l'extrême douleur des parents qui survivent avec le doute, l'espoir; Un livre sans complaisance qui met en perspective les deux volumes de Don Winslow, La griffe du chien, Cartel, qui, s'ils parlaient de la corruption de l'Etat mexicain, conservait une vision très romanesque, heureusement, mais surtout très américaine. Là, on comprend vraiment mieux les enjeux.
Ni vivants ni morts (trad. François Gaudry), ed. Métailié, 221 pages, 18 euros.