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The killer inside me

Littérature noire

Une jolie poupée : de l'art de la traduction avec Rivages (25)

François Guérif est parti de Rivages il y a maintenant plus d'un mois. Et Rivages sort cet hiver Une jolie poupée, de Jim Thompson... Curieux sentiment quand on sait l'importance que cet auteur a dans le coeur de Guérif. Big Jim est le numéro un de cette collection qu'il a donc démarré il y a trente ans, il avait même rencontré sa veuve, avait consacré un numéro complet dans la revue Polars au début des années 80. Et puis il s'était attaché à retraduire tous les romans amputés à l'époque à La Série Noire. Offrant une modernité à l'auteur de l'Oklahoma. Bref, ce n'est pas anodin... Mais plutôt que de refaire une nouvelle chronique de ce roman si personnel pour Jim Thompson (détail ici), dans lequel il évoque ce père qu'il s'est longtemps reproché d'avoir laissé mourir en maison de retraite, le lecteur trouve aussi des traces de son expérience d'employé d'hôtel et sa vision si trouble de la femme. Bref, si ce n'est pas un livre qui entre dans le top 5 des romans de Big Jim, il est, d'une autre façon, incontournable. Et donc, petit aperçu des différences de traduction entre Un chouette petit lot, traduit par Nelly Shklar et Une jolie poupée, traduit par Alexis Nolent. Cinq extraits pris presque au hasard pour saisir les nuances mais aussi parfois les oublis et surtout la langue argotique de la traduction Gallimard, datant de 1968. Déjà, les anglophiles pourront apprécier la nuance des deux titres, sachant que l'original est A swell-looking babe.

1) Page 32, édition Rivages : "On dirait qu'on rend notre pote un peu nerveux, dit-il. On ferait peut-être mieux de laisser tomber avant qu'il ne nous balance aux flics.

- Oh non, protesta Bascom. Il avait à peu près autant d'humour, selon Dusty, qu'une des grandes jarres de sable qui décoraient la réception. Mais lorsqu'on est seul la nuit ici, presque tout seul, toute la nuit, et qu'on est responsable de tout cela..."

édition Gallimard : "On dirait qu'on fout les jetons à notre ami. On ferait peut-mieux de la boucler avant qu'il appelle les poulets.

- Oh non, protesta Bascom. (Il avait à peu près autant le sens de l'humour, de l'avis de Dusty, que les potiches du salon.) Mais quand on doit passer la nuit tout seul ici, enfin à peu près seul jusqu'au matin, et qu'on est responsable de tout cela..."

2) Page 33, édition Rivages : "A l'époque de la Prohibition, Tug avait dirigé un gang de trafiquants qui contrôlait tout l'Etat. Sa réputation de dur était tellement justifiée que même les Capone l'avaient évité. Pendant la guerre – bien qu'il n'ait jamais été condamné – il avait été le cerveau et une bonne partie des muscles d'un groupe de truands qui pratiquaient le marché noir, des types qui s'étaient spécialisés dans le braquage en plein jour de camions de whisky confisqué. A différents moments de sa carrière, il avait été impliqué – à ce que l'on disait – dans des affaires d'usure et de racket de machines à sous. Ces activités illégales et souvent létales, ou, plus exactement, ces activités supposées, appartenaient maintenant à un lointain passé. Il ne s'occupait plus maintenant que d'une société de juke box, et d'une autre de transbordement de bateaux, toutes deux manifestement très profitables."

édition Gallimard: "Au temps de la Prohibition, Tug avait été à la tête d'une organisation de bootleggers qui opéraient dans tout l'Etat. Il avait à juste titre la réputation d'être coriace au point que les Capone eux-mêmes évitaient de le contrer. Il se cantonnait désormais, manifestement avec profit, dans la gestion d'une compagnie de juke boxes et d'une entreprise de chargement et déchargement de navires."

3) Page 65, édition Rivages : "Cela avait été une nuit assez ordinaire, pour l'hôtel Manton. Bascom se montra égal à lui-même : pas grand-chose à dire, revêche et râleur. Si Tolliver lui avait montré la lettre, il n'en avait rien laissé paraître."

édition Gallimard : "La nuit se passa comme d'habitude à l'hôtel Manton. Bascom se montra comme d'habitude, peu loquace, maussade et désagréable. Si Tolliver lui avait montré la lettre et si elle avait quelque importance pour lui, il n'en laissa rien voir."

4) Page 97, édition Rivages : "Sa griserie dura jusqu'à ce qu'il rentre chez lui. Elle commença à décroître lorsqu'il gravit les marches de la maison décatie. Et après cinq minutes en compagnie de son père, elle avait complètement disparue. Dusty n'aurait pas pu dire pourquoi son père provoquait en lui un changement d'humeur si radical et si brutal. Peut-être, admit-il, abattu et se sentant un peu coupable, que ce n'était rien. M. Rhodes s'était fait à peu près présentable."

édition Gallimard : "Son exaltation dura jusqu'à la maison. Elle commença à décroître au fur et à mesure qu'il gravissait les marches de la vieille bicoque. Au bout de cinq minutes avec son ère, il n'en restait plus rien. Dusty aurait été bien incapable de dire comment son paternel avait pu provoquer un changement d'humeur aussi soudain que brutal. M. Rhodes s'était donné du mal pour se rendre présentable."

5) Page 159, édition Rivages : "L'arme de Tug claqua. Bascom tituba, en arrière, en se tenant la poitrine, et Tug tira à nouveau. Et encore. Le corps du réceptionniste tressauta. Lentement, il commença à se plier au niveau de la taille. Il s'affaissa de plus en plus, en se déchirant la poitrine, haletant et s'agrippant - un bruit de raclement terrible dans la gorge."

édition Gallimard : "Le revolver de Tug partit. Bascom porta les deux mains à la poitrine et vacilla en arrière. Tug fit feu encore puis une troisième fois ! Une secousse agita le corps du réceptionniste. Il se plia lentement en deux. Les mains crispées sur la poitrine, , il se mit à hoqueter et à laisser échapper un râle affreux."

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