Littérature noire
24 Avril 2017
Walden est décrit comme l'an zéro du nature writing. L'oeuvre première de la littérature américaine dans son observation de dame Nature. Si ce livre a eu finalement peu d'échos de ce côté-ci de l'Atlantique, il a fortement influencé les Américains et pas que les écrivains puisque l'on se souvient que dans le film Into the wild, le jeune Christopher Mac Candless cite Henry David Thoreau parmi ses sources d'inspiration. Paru en 1854, Walden raconte les deux années 1845 et 1846, quand l'auteur s'est installé sur les bords de l'étang Walden, proche de la ville qui l'a vu naître, Concord, dans le Massachussets. Esprit libre, frondeur et pragmatique, Thoreau, diplômé d'Harvard, narre dans le détail tout ce qui fait sa vie dans les bois. Il y a bien sûr l'observation des animaux (marmottes, canards, oies, écureuils, brochets mais aussi fourmis), des végétaux et l'étang. Qui se transforme à chaque saison bien sûr mais aussi presque tous les jours. Thoreau n'est toutefois pas qu'un poète. Géomètre-arpenteur, il a le sens pratique et Walden donne ainsi de longs détails sur la géographie des lieux, sur la profondeur supposée mais aussi sur le manière de construire une cabane, un lit, de se chauffer, de vivre de sa production agricole.
Walden, ce n'est pas Indian Creek de Pete Fromm. Même si ça y ressemble. Thoreau, amoureux fou de sa région, a voulu faire un retrait provisoire de la société et prouver que l'on pouvait se détacher de tout le confort moderne, vivre bien sans les commodités de la ville. En totale opposition avec l'air de son temps qui voit, par exemple, le train modifier les comportements ! Dans une post face, son ami Emerson raconte à quel point Thoreau, protestant dans l'âme même s'il ne se rendait jamais au temple, avait un côté ascète, stoïque et, donc, rebelle. Walden n'est ainsi pas seulement de la poésie, il y a aussi de la philosophie, de la politique. Et une vision de l'Amérique. Il y a notamment ce très beau passage lorsqu'il s'adresse à un immigré irlandais pris au piège d'un schéma hérité du Vieux Continent : " ne travaillant pas beaucoup, je n'avais pas besoin de manger beaucoup, et que ma nourriture ne me coûtait quasiment rien; mais que lui en revanche, habitué, au thé, au café, au beurre, au lait et à la viande de boeuf, il devait travailler dur pour payer ces denrées; puis lorsqu'il avait travailler dur il devait manger tout aussi dur pour restaurer son organisme - et que cela revenait au même, ou plutôt non, que cela ne revenait pas du tout au même car il était malheureux et il gâchait sa vie par-dessus le marché. Et pourtant il jugeait positive sa venue en Amérique, car ici l'on pouvait avoir du thé, et du café, et de la viande tous les jours. Mais la seule vraie Amérique est ce pays où vous êtes libre d'adopter le mode de vie qui vous permet de vous passer de toutes ces choses..."
Pour être totalement honnête, Walden n'est pas une lecture facile. Et tant mieux. Thoreau puise dans les textes anciens, beaucoup de références, notamment chez Caton, mais il aime aussi citer des poètes contemporains et quelques passages de la Bible. Cela ne fait pas de ce texte, un livre fermé ou hermétique. Au contraire, il y a un souffle libertaire et vraiment moderne, qui résonne incroyablement dans ce XXIe siècle. Les questions de l'environnement, de l'alimentation, du temps pour soi, du refus d'une société imposée, demeurent des thèmes très actuels. Décédé à 44 ans, Henry David Thoreau (auteur de La désobéissance civile) fait partie de ces esprits très éclairés, typiquement côte Est sans doute, qui ont permis d'imaginer une autre Amérique et qui ont contribué à faire vivre le mythe d'un pays de libertés. Il a d'ailleurs publiquement pris la défense de John Brown, cet abolitionniste fou dont James Mc Bride a fait le beau L'oiseau du bon Dieu (Gallmeister 2015)...
A noter, une nouvelle fois, et encore plus que précédemment, l'énorme travail de Jacques Mailhos pour traduire mais aussi pour fournir toutes les notes de bas de page, citations et auteurs parfois peu connus mais indispensables à la compréhension.
Walden (trad. Jacques Mailhos), ed. Gallmeister,389 pages, 10 euros.