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The killer inside me

Littérature noire

Froid témoin d'un prédateur sexuel dans Daddy Love

Robbie a cinq ans quand il est enlevé, dans sa banlieue du Midwest, par Chet Cash, alias Daddy Love, alias le Prédicateur. Jusqu'à ses douze ans, il va vivre l'esclavagisme sexuel et domestique de ce psychopathe, jusqu'à en perdre son prénom. Robbie va développer une soumission faite de répulsion, de crainte et d'un soupçon d'admiration ambiguë. Plus qu'un sentiment de survie, c'est finalement une volonté d'intégration qui va s'instaurer chez le petit garçon. Violé, enfermé dans un coffre sarcophage, il va être scolarisé sans pour autant se lier avec ses camarades, des adultes seront bien intrigués par ses dessins mais jamais un seul ne signalera une maltraitance. C'est que Daddy Love est loin d'être un crétin. Un pervers oui, mais malin, à défaut d'être intelligent. Un psychopathe malin, pervers il va sans dire, qui déteste les "bonnes femmes" et qui aime les enfants... jusqu'à la puberté. Manipulateur, sadique, il trompe ceux qui l'entourent, de ses voisins, aux commerçants, aux enseignants, aux parents d'élèves.

Joyce Carol Oates scrute plus qu'elle ne dissèque cette horrible histoire de prédateur sexuel. Elle observe d'abord les parents, rejouant même plusieurs la scène du kidnapping, comme lorsque vous vous souvenez d'un accident et que vous vous dites "et si j'avais eu 5 minutes de retard, si je m'étais arrêté au stop..." Puis elle s'éloigne d'eux comme ceux-ci s'effacent de la mémoire de Robbie. De ce dernier, rien n'est épargné au lecteur sinon les scènes de viol. L'enfermement dans le sarcophage, les vêtements souillés, les saignements après l'acte mais aussi les pensées enfouies. Oates entre dans la psyché du bourreau et de la victime dans une forme d'effet miroir saisissant. Elle se dispense d'expliquer, n'a pas besoin de juger bien sûr. La narration est parfois clinique, se débarrassant autant de la compassion que du pathos. Même la mère, défigurée pendant le kidnapping, est exposée sans fards, loin de tout effet lacrymal. L'effet est puissant sur le lecteur, soufflé par la mécanique sadique, l'impasse de ce couple fracassé. Le talent d'Oates saute aux yeux, tant elle domine, resserre, les effet de répulsion à l'égard de Daddy Love pour mieux dire « regardez cet homme vit parmi nous », elle fait en sorte que son prédateur apparaisse non pas comme un monstre mais bien un citoyen quasi lambda. Le mal est sur la porte du voisin mais en 2017 sans doute que cela n'est plus une révélation. En tout cas, l'écrire ainsi demeure un tour de force. Dans une écriture quasi parfaite, presque trop maîtrisée. On regrette juste ce cliché du pédophile pasteur, l'homme d'église pervers. Peut-être que cela fait scandale aux Etats-Unis, mais c'est presque devenu d'une sordide banalité de ce côté-ci de l'Atlantique. C'est vrai aussi que pour installer son histoire dans le rural, il lui fallait ce genre de personnage. On peut aussi tiquer sur la scène avec le chien, extrêmement prévisible et qui joue, pour le coup, avec les émotions du lecteur. A moins que Joyce Carol Oates nous fasse passer un message qui voudrait que l'on a plus de compassion, de prévention, d'attention, dans ce siècle pour les animaux, que pour les êtres humains.

 Ni thriller, encore moins roman noir, Daddy Love est la photographie sans effet de la relation d'un bourreau et de sa victime, une histoire monstrueuse, livrée avec la pudeur d'un grand écrivain et la franchise d'une femme écoeurée par cette humanité réduite en miettes. C'est clinique oui.

Daddy Love (trad. Claude Seban), ed. Points, 288 pages, 7 euros.

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