Littérature noire
11 Mai 2017
Prenez les films Les rois du désert, voire De l'or pour les braves ou Princess Bride, et puis ce petit côté Le grand secret (Barjavel), sans oublier Les contes des milles et une nuits... En fait non, oubliez : Bagdad, la grande évasion ! ne ressemble à rien d'autre et a plutôt un ADN inconnu. Il rentre dans la catégorie des rares livres inclassables, démarrant comme une fiction de guerre, pour se présenter en roman d'aventure, puis en traité historico-philosophique avant de devenir un pur moment cathartique. Jubilatoire, érudit, très drôle, Bagdad, la grande évasion ! se pose aussi comme une occasion rare de fouiller dans le passé récent et plus lointain de la glorieuse Irak. L'auteur, Saad Z. Hossain, Bengali, journaliste au Daily Star, au Dhaka tribune, réalise un coup d'éclat avec ce premier roman, paru en 2013. D'abord par le sujet : Bagdad en 2004. Dit comme ça, ça ne fait pas rêver, et pourtant ! Ensuite par son traitement. Une narration, avec un côté très classique, où plusieurs personnages se déplacent en même temps dans un même espace, mais extrêmement original par le parti pris tragi-comique, les dialogues, les scènes (ah la location de gilets pare-balles !). Encore une fois, un bon roman tient à une bonne histoire, une voix (comme dit monsieur Guérif) et puis des personnages. Là, le lecteur est servi. Copieusement. Le talent d'Hossain, c'est bien d'articuler toute sa histoire, son aventure et de l'enrichir de magnifiques pages sur l'ambiance de Bagdad, les recherches en ADN ou encore la cryptologie.
Dagr et Kinza sont deux amis échoués de la guerre d'Irak, ayant perdus toute famille, mais aussi tout espoir de lendemains joyeux. Et puis on leur remet Hamid entre les mains. Un tortionnaire du régime de Saddam qui pourrait valoir son lot de dollars auprès des autorités. Sauf que Hamid leur promet un trésor bien plus intéressant, qu'il a enterré dans un bunker à Mossoul. Les deux potes ne croyant plus en rien, se disent pourquoi pas. Mais il faudra sortir en premier lieu du Bagdad chiite où ils sont réfugiés. Se déplacer à Bagdad en 2004, c'est un peu plus épineux que gravir la roche de Solutré ! Dagr et Kinza s'appuient donc sur un soldat américain, Hoffman, complètement déjanté. Dans leur périple nocturne, ils tombent d'abord sur un quartier, une communauté, qui vit dans l'angoisse d'un voleur insaisissable, le Lion d'Akkad. Et voilà que la légende de la communauté druze refait surface. Et aussi l'histoire d'une fameuse montre en or aux mécanismes irréguliers. Vengeance, folie meurtrière, histoire de la Mésopotamie, horlogerie, génétique, promesse d'immortalité et trafic de Skittles vont entrer en collision dans ces 374 pages succulentes.
Mais attention, Bagdad, la grande évasion ! a de ces moments de poésie absolument déchirants, des instantanés de vies brisées, comme lorsque les deux protagonistes en appellent à leur vie d'avant : " Il fixa le sol sans le voir, lesté par le poids du baklava sans âge dans sa main. Un léger arôme de beurre et de miel s'en dégageait et l'enveloppa de ses émanations, entraîna son esprit à la dérive jusqu'à sa cuisine d'autrefois. Il se rappela les boucles brunes de sa femme qui s'échappaient de son foulard tandis que qu'elle se penchait sur le plan de travail en bois pour pétrir la farine et le beurre. Le petit cendrier où elle déposait toujours ses bagues : celle qu'il lui avait offerte et l'autre en or terni qui lui venait de son père. Ses propres gestes à lui, inutiles dans ce petit espace chaud et confiné, qui dansait avec sa fille; tous deux tentant chacun son tour d'écraser des noix dans le mortier en pierre, ils en mettaient partout et se faisaient gronder."
Un roman qui rend heureux mais pas sottement, il y a une vraie joie dans cette situation terrible, une humanité permanente. Vite, des nouvelles de Bagdad !
Bagdad, la grande évasion ! (trad. Jean-François Le Ruyet), 374 pages, 22 euros.