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The killer inside me

Littérature noire

Ecume : tragédie grecque au milieu de la Manche

Les relations père-fils sont un classique du roman, du roman noir aussi. Il n'y a qu'à prendre, cette année, par exemple, Le verger de marbre d'Alex Taylor. Avec Ecume, Patrick K; Dewdney, offre une profonde étude du rapport paralysant, étouffant, d'une figure paternelle patron-pêcheur, ancien aventurier des mers asiatiques, avec l'enfant, jeune adulte, à peine dégrossi mais déjà conscient du caractère nocif, pour ne pas dire toxique de son père. Sans jamais leur donner de prénoms, Dewdney raconte les miséreuses sorties en mer, les journées sans s'adresser la parole (d'où l'absence totale de dialogue), les palangres que l'on remonte comme Sysiphe pousse sa pierre et puis la vie à terre, semi-vie dans un cabanon étroit sans confort. Une existence de crève-la-faim, s'il n'y avait, dans cette Manche, les quelques passages de migrants vers l'Angleterre. Un trafic sans noblesse, sans humanité, avec des passeurs-vautours. La vie du père et du fils, hommes de mer, n'est qu'une tension quotidienne. Le fils, privé d'intimité, de relation autre, en est réduit à acheter un déodorant fruité pour se rapprocher d'une virtuelle présence féminine. Puis il y a l'accident.

Amateur de mots, et même amoureux du vocabulaire, Patrick K. Dewdney impressionne d'abord par la qualité de ses descriptions à bord. Ecume pourrait être un livre de marins tant il déroule le fil des journées de pêche, les nuits, les petits matins, le labeur ingrat mais aussi l'océan souillé et puis le dégoût du pêcheur qui donne la mort sans s'arrêter. L'auteur fait avancer intelligemment ses personnages dans un récit, assez court, qui trouve très vite ses marques mais qui parvient à secouer, surprendre le lecteur. D'accord la narration est originale mais elle soustend le propos. Et Dewdney ne s'est pas contenté d'une histoire de marins. Ecume vire au noir, à la tragédie grecque aussi. Clairement, l'auteur prend des risques avec cette histoire âpre, cette narration rugueuse mais il décrit un monde dur, sans fleurs, sans couchers de soleil romantiques. On ne devient pas tous surfeur à force de bouffer de l'écume...

Ecume, La Manufacture de livres, 164 pages, 16, 90 euros.
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