Littérature noire
4 Septembre 2017
JD Vance est né dans le Kentucky au milieu des années 80, d'une mère psychotique, bourré de cachetons et d'un père absent. De beaux-pères interchangeables, en crises de nerfs maternelles, il trouvera refuge chez sa grand-mère, sale caractère mais grand coeur. Elle aussi aux prises avec un mari, le grand-père donc, alcoolique et, là aussi, à la générosité exemplaire. C'est une famille pauvre mais qui travaille. JD Vance à force de travail scolaire va passer du lycée public à l'université de l'Ohio puis aux Marines, avant d'intégrer Yale et de devenir un avocat prospère. Hillilly élégie est son histoire. Il veut à la fois raconter sa trajectoire, tout comme celle de sa tribu, sa communauté, les Hillbilly, ces petits blancs, un peu cul terreux, souvent oubliés de tout les programmes électoraux.
C'est ambitieux et plutôt raté. D'abord parce que JD Vance se raconte plus qu'il ne raconte sa communauté. Son exemple, c'est sa famille et uniquement sa famille. D'accord elle n'est pas reluisante, avec pas mal d'alcool au milieu et puis cette addiction de la mère, sans oublier une violence latente. Mais Vance ne raconte que cela : son histoire. Il ne va pas chez le voisin, les amis. On a l'impression qu'il tire toute une théorie, ou une analyse de sa seule histoire pour raconter tout le Kentucky ou l'Ohio des trente dernières années. Il évoque la Rust Belt, les dégâts de la désindustrialisation mais de ce que l'on en sait le Kentucky n'est pas dans la rust belt, juste en dessous non ? L'Ohio qu'il fréquente ensuite oui, c'est la rust belt. Il n'évoque toutefois pas tellement pas les fermetures d'usines sinon celle de son grand père, mais sans témoignages de conflits sociaux dans ses pages, pas de grèves. Ce n'est pas Ken Loach clairement. Si l'auteur avait vraiment témoigné de Middleton, sa ville en Ohio il en aurait peut-être parlé comme dans ce reportage récent Middleton, a city under siege.
JD Vance se fait par moment passer pour une sorte de survivant de la Grande Dépression. On lui dira qu'il a eu la chance de naître blanc aux Etats-Unis, ce qui n'a pas l'air d'être un si grand inconvénient ces jours-ci et que si son père et sa mère ont été défaillants, ses grands-parents, sa tante, sa soeur, étaient eux très bienveillants. Par ailleurs, Vance n'a jamais mal tourné, il n'a pas fait un jour de taule, il ne s'est pas goinfré de meth, n'a pas été violé par un gang salvadorien... Il y a pire monsieur Vance comme existence. Il y a toujours pire. Ce qu'il nous fait le mieux comprendre et partager finalement, c'est le sentiment d'avoir vécu réellement le Rêve américain, d'améliorer sa condition, de partir d'assez bas pour arriver très haut. Avec un peu de chance, il l'avoue, mais aussi beaucoup de volonté et cette expérience unique chez les Marines. Ensuite, la deuxième partie du livre est ennuyeuse lorsqu'il s'attarde sur ses études de droit, les sénateurs qu'il fréquente, lui, le petit blanc, avec, heureusement sa chérie qui le calme, le gère (le passage où il avoue qu'il a failli frappé un automobiliste qui lui avait fait une queue de poisson est d'un ridicule achevé). Ajoutons à cela quelques réflexions bien à droite sur la fainéantise de ses compatriotes, une langue assez faible et on comprend presque pourquoi ce livre a fait un carton aux Etats-Unis : il dénonce sobrement, simplement.
On reste pantois devant certaines phrases : " je n'arrivais pas à comprendre pourquoi notre vie était un combat de tous les jours, alors que ceux qui vivaient des largesses du gouvernement s'offraient des délices dont je ne pouvais que rêver... parfois les puissants pensent aider les gens comme moi, mais ils ne les comprennent pas... Voici une liste non exhaustive de choses que j'ignorais en entrant à la Yale Law School : qu'il fallait porter un costume pour un entretien d'embauche... dans le meilleur des cas je suis une bombe à retardement - on ne peut me désamorcer qu'avec beaucoup de savoir-faire et de précision... être un hillbilly signifiait ne pas toujours connaître la différence entre l'amour et la guerre..." Alors oui, Hillbilly élégie explique peut-être la montée de Trump. C'est un éclairage sur cette population démocrate passée aux Républicains, mais franchement, la politique n'est pas le sujet, il y a juste quelques passages sur ces mesures comme la section 8 ou les bons alimentaires détournés. Pire, lorsque les politiques tentent de mettre une frein aux crédits à la consommation, fameux prêts ) 20% ou plus d'intérêts, véritable fléau du surendettement, l'auteur, lui, s'insurge, expliquant son cas, qui n'est pas vraiment exemplaire... La politique dans son sens large n'est donc pas du tout au coeur du livre. Le sujet c'est JD Vance. Derrière une pseudo étude sociologique, une bonne dose d'égocentrisme.
Hillbilly élégie, (trad. Vincent Raynaud), ed. Globe, 280 pages, 22 euros.