Littérature noire
18 Août 2017
Le summer of love de 1967 ? Une supercherie ? Ron Rash livre son point de vue avec Par le
vent pleuré. Le génial écrivain de Caroline du Nord a habitué ses lecteurs à la réécriture de l'histoire des Appalaches, avec Une terre d'ombre et les enfants Shelton en 1916, et puis le jeune Travis du Monde à l'endroit, faisant ressurgir les démons de la Sécession. Auteur de la terre et de l'eau, Ron Rash opère cette fois un grand clash de ses obsessions, avec d'abord une famille traversée par des tensions inimaginables. Il y a Eugène, le jeune fils et Bill, son aîné de cinq ans, élevés par leur mère veuve depuis leur enfance. Elevé n'est cependant pas le mot juste. C'est le grand-père, beau-père de la mère, qui gère absolument tout. Docteur de la petite ville de Sylva, vétéran de la Première guerre mondiale, il exerce une autorité psycho-rigide qui va au-delà e sa simple famille. Alors quand les deux frères vont à la pêche et tombent sur la belle Ligeia, jeune fille rebelle arrivée de Floride, c'est tout un monde de nouvelles libertés qui s'ouvrent à eux. Le sexe libre d'abord. Puis le plaisir d'une bière au bord de la rivière. Du vin. Du whisky. Et enfin les médocs. Que les deux frères volent dans l'armoire de leur grand-père... Mais 46 ans plus tard, alors que Bill est devenu un grand chirurgien et Eugene, un auteur raté, voilà que le corps de Ligeia est rendu par la rivière. Elle qui était censée avoir pris le bus pour rentrer chez elle à la fin de l'été.
Moins nature writing que ses précédents romans, même si la rivière tient une place capitale, Par le vent pleuré est encore, pour Ron Rash, une histoire de fantôme, de passés enfouis, de fautes originelles ensevelies. Le grand-père ogresque répète à qui veut l'entendre qu'il faut assumer les conséquences de ses actes, jusqu'à la mort s'il le faut, un mantra qui empoisonne la famille et les deux frères tout particulièrement. Une rigidité qui sied sans doute bien au monde rural des Appalaches mais qui vole en éclat avec Ligeia. Bill et Eugene sont écartelés, en viennent, pour la première fois, à se disputer. C'est l'histoire des Etats-Unis qu'illustre ainsi Ron Rash, le choc perpétuel des idées, des cultures, entre cette jeune fille pur produit de la contre culture et ses deux garçons, héritiers de valeurs chrétiennes jusqu'à l'absurde. Plus qu'une vision de l'époque hippie, Rash veut sans doute alerter son lecteur sur l'Amérique d'aujourd'hui, faussement libre, faussement joyeuse, il propose la vision de Bill, vraiment désenchantée, coupable.Le personnage de Ligeia est passionnant tant il va à l'encontre du modèle hippie, flower power communément propagé par les médias et une nostalgie aveugle et ignorante des dessous de cette époque. C'est un roman assez différent de tout ce qu'a écrit l'auteur de Serena jusque là, on a du mal à dire si c'est plus léger ou plus politique, ce qui est certain c'est qu'il manque de force d'un côté et de finesse de l'autre (le personnage de Nebo est un peu caricatural). On sent qu'il manie autant le mythe d'Abel et Cain, que les frères Karamazov, avec cette touche incomparable qui lui est propre, cette analyse si particulière des liens familiaux. Mais ce n'est pas aussi jouissif que dans les précédents romans. Mais, car il y a un mais, il n'empêche que c'est Ron Rash à la plume et quelques pages de Par le vent pleuré retournent les tripes juste ce qu'il faut.
Par le vent pleuré, (trad.Isabelle Reinhare) ed. Seuil, 208 pages, 19, 50 euros