Littérature noire
26 Septembre 2017
En 2000, Claude Chossat a 22 ans et vient d'être condamné à Ajaccio
à sept ans de prison pour vol aggravé et séquestration. A la Maison d'arrêt de Borgo, il croise Francis Mariani, grand patron de la bande de la Brise de Mer, organisation criminelle en activité dans l'île et sur le continent (Aix, Marseille, Paris) depuis les années 80. Les deux vont d'abord se lier autour de la même passion des rallyes automobiles puis le premier va devenir à sa sortie le garde du corps de Mariani jusqu'à la mort de ce dernier dans un hangar soufflé par une explosion en plaine orientale. Dans Repenti, Claude Chossat raconte donc, en choisissant bien sûr ce qu'il veut dire, ces neuf années au coeur de la Brise de Mer. Neuf années qui ont abouti à la disparition, faute de combattants,de la bande.
En effet le livre s'ouvre sur l'assassinat le 23 avril 2008, de Richard Casanova, grand stratège de la bande, homme insaisissable au point que la seule photo connue de lui remontait au début des années 80 ! En conflit ouvert avec Francis Mariani, au tempérament totalement différent, ce dernier le soupçonnait de vouloir sa mort et d'être impliqué, avec son beau-frère Jean-Luc Germani, autre figure du banditisme insulaire, dans la tentative d'assassinat qu'il a subie quelques mois plus tôt. Ce jour de 2008, toujours d'après Chossat, Mariani veut littéralement attraper un proche de Germani. Il est donc en planque devant une concession automobile de Porto-Vecchio. Des repérages ont été faits. Les deux hommes sont en poste chacun de leur côté. Un véhicule approche. Des tirs. Francis Mariani revient vers Chossat, grimpe an sa voiture : "j'ai tué Richard Casanova". A posteriori, le point de non retour.
Le porte-flingue, qui assure n'avoir jamais tué quiconque, va ensuite raconter ce qu'il voit depuis qu'il a été "embauché", les grasses enveloppes descendues des cercles de jeux de Paris, les conclaves entre les sept ou huit boss dans une maison de l'un d'entre eux à San Nicolao, les 50 à 100 000 euros de revenus mensuels, les amis forcés de les planquer, les policiers corrompus, avec un large passage sur les liens de Bernard Squarcini et Casanova, les témoins rémunérés... et forcément des assassinats. Cette partie est délicate, voire douloureuse pour plusieurs raisons. D'abord quand on a couvert quelques uns de ces cas, pour la rubrique fait divers. Ce sont toujours des souvenirs gênants, entre les terribles informations sur le mode opératoire (Jacques Navarra), parfois les familles venues sur les lieux (Rogliano) et tout simplement l'horreur de certaines scènes. Elles sont dérangeantes parce que Chossat décrit son employeur comme quelqu'un de très froid qui lui avoue " j'en suis à 54 alors un de plus ou de moins..." Globalement, certains de la bande était prêt à massacrer pour un regard de travers. Cette partie est délicate surtout parce que Claude Chossat met en cause finalement, des personnes qui sont toutes mortes et de mort violente. Qui pour le contredire ? Les policiers qui ont trouvé son ADN sur la scène de Richard Casanova ? Il s'en explique. La famille de Mariani l'a ouvertement traité de mythomane...
Certes, Claude Chossat n'est au départ qu'un voyou condamné pour une séquestration, le lecteur peut penser qu'il n'avait pas le goût du sang. Son témoignage en tout cas éclaire non pas sur l'histoire de la Brise de Mer, dont l'histoire a démarré bien avant qu'il l'intègre mais sur l'implosion de la bande, comme la queue d'une comète. Rivalité, caractère, folie aussi. Comme pour l'assassinat de Daniel Vittini à Corte, très proche de Francis Mariani qui, selon l'auteur de Repenti, l'a lui-même assassiné. Chossat se fait bizarrement plus secret sur les conditions de la mort de Francis Mariani, il en dit ou trop ou pas assez, en pointant du doigt un ancien nationaliste spécialiste des explosifs, passé ensuite à la Brise. Un passage du livre assez curieux...
Beaucoup de ces informations étaient connues, certaines susurrées, en Corse. L'intérêt est sans doute d'abord pour le lecteur extérieur à ce mircrocosme. Mais au vu des ventes actuelles en librairies, par exemple à Bastia, l'intérêt est aussi pour les insulaires car il montre une machine monstrueuse, sanguinaire dont les Corses, dans leur ensemble ont été les premières victimes. Et encore aujourd'hui où le crime organisé est loin d'avoir disparu. C'est aussi un témoignage sur un engrenage qui a brisé Chossat et qui le fait désormais vivre avec une cible dans le dos, victime lui aussi, au moins d'une tentative d'assassinat en février 2009. Tout comme son avocat, Jean-Michel Mariaggi, ténor du barreau d'Ajaccio, désormais en "exil", qui n'a jamais eu peur de s'élever dans ses plaidoiries contre les auteurs du crime organisé. Enfin, c'est une réflexion sur le statut de repenti, pas vraiment très clair et assez récent aussi, dans le système français. Le teaser de l'éditeur sur les confessions du premier repenti de la mafia corse n'est pas très honnête au sens où le terme de mafia ne peut pas être importé ainsi en Corse : il y a des bandes, il y a des connexions avec le monde politique évidentes, avec la police aussi mais ce n'est pas, le livre le prouve, le système pyramidal sicilien, tout comme ce n'est pas, heureusement, la même gangrène. Ce type de criminalité se retrouve à Marseille bien sûr et sans doute à Paris. De même, Chossat l'explique, il n'est pas le premier voyou corse à collaborer avec les services de police, le mythe de l'omerta, après 96 heures de garde à vue et des menaces sur la vie de famille, sur sa propre vie, en a fait craquer certainement plus d'un. Il n'en reste pas moins que pour divers raisons, ce livre complète opportunément le film Une vie violente.
Repenti, ed. Fayard, 262 pages, 19 euros.