Littérature noire
9 Octobre 2017
La race. Le concept-même, s'il a quasiment disparu au XXIe siècle
, était d'une modernité incroyable au début du XXe siècle. Autant que les hommes politiques européens, les scientifiques du Vieux Continent se sont interrogés sur l'amélioration de la race et même sa purification. Idées qui ont mené, petit à petit, au nazisme allemand. Avec La salle de bal, sous couvert d'une romance, Anna Hope rappelle que l'Angleterre de 1911, avec Churchill en ministre de l'Intérieur, réfléchissait très sérieusement sur l'eugénisme et notamment à la stérilisation des handicapés, des "dégénérés". Une façon aussi de limiter la pauvreté, excuse économique toujours pratique.
L'histoire se déroule entre Bradford et Leeds, dans le Yorkshire, dans l'asile d'aliénés de Sharston, immense institution accueillant 2 000 patients avec une ferme pour l'autosuffisance et donc cette salle de bal où, tous les vendredis soirs, le docteur Fuller et son orchestre joue pour les malades. Le docteur Fuller est, d'abord, un fervent défenseur de la thérapie douce, par la musique donc mais aussi par le discours, la bienveillance. Il songe même à expliquer au descendant de Darwin ses théories lors d'une rencontre médicale. Mais la découverte de ses penchants homosexuels vont le faire basculer dans le camp des eugénistes. Obsédé par un de ses patients, le sombre John Mulligan, il va se mettre en tête de briser son histoire d'amour avec une autre internée, la malheureuse Ella Fay, fille malheureuse issue du prolétariat anglais.
La salle de bal a les reflets d'une intrigue romantique mais son décor, entre travail ingrat à la blanchisserie pour les filles, trous pour les tombes concernant les hommes, est celui d'un documentaire sur les conditions d'internement au début du siècle. A ce titre les deux, trois descriptions de repas communs sont un saisissant contraste avec les heures joyeuses des moments de musique. Très précis, le roman se réfère non seulement à un établissement qui a existé (peut-être pas dans ces conditions) mais surtout à des idées populaires à cette époque, textes historiques à l'appui. Bien sûr l'amour de Ella pour John est un très beau canevas, leurs tourments sont délicatement dessinés et Anna Hope crée en outre des personnages secondaires (Clem et Dan) vraiment idéaux. Mais c'est ce fond social et forcément politique qui donne sa force au roman, avec un docteur Fuller qui se révèle méprisant pour le prolétariat, les masses laborieuses et les humains cabossés. Dans cette Angleterre industrieuse, frappée de grèves gigantesques, Anna Hope prend le parti du petit peuple. Avec un style so british, très élégant, jamais grossier, jamais trop direct. Si ce n'est pas un chef d'oeuvre, La salle de bal est se révèle plus qu'agréable, intéressant, salutaire à rafraîchir ainsi les mémoires.
La salle de bal (trad. Elodie Leplat), ed. Gallimard, 387 pages, 22 euros.