Littérature noire
16 Octobre 2017
" Parle... dis moi ton secret ! murmurait-il.
Toi qui plonges au plus profond des océans, toi pour qui le temps n'a pas de sens, toi qui a vu tant de croisières triomphantes, mais aussi tant de naufrages ! Parle, je t'en prie ! Dis-moi..." Moby Dick est sans nul doute l'un des meilleurs romans de tous les temps, formidable récit d'aventure, histoire d'initiation, texte parfois ethnologique, surtout historique et bien sûr pétri de religiosité. En 2017, on n'a sans doute pas encore fait le tour de ce phare de la littérature. Le chef d'oeuvre d'Herman Melville mérite donc des piqûres de rappel réguliers parce qu'il y a peu de livres capables de provoquer cela, cette émotion, ce ravissement, à la fois chez l'enfant et l'adulte. Et les excellentes éditions Sarbacane sortent ces jours-ci un album illustré qui dépasse l'entendement ! Avec Anton Lomaev au dessin, un livre plus que beau, de 26 X 37, soit une présence énorme physiquement, un format qui rend toute sa grâce aux crayons du Bielorusse. Formé aux Beaux-Arts de Saint-Petersbourg, Lomaev renoue avec la tradition des crayons alliés à l'aquarelle. Un dessin à la fois très précis dans les gueules de marins, dans les haubans des navires, et puis une ambiance parfois de fin de monde, parfois plus chaleureuses grâce à une peinture toute en nuances de bleus, d'ocres. Il illustre ainsi des visages parcheminés, des costumes savamment retrouvés et puis des grandes scènes de navigation, en pleine mer ou au départ de Nantucket. Chaque planche est ainsi une oeuvre d'art, de celles qui coupent le souffle tant on plonge dedans. La double page des marins, sur le pont, au crépuscule, en train de ramasser les différents morceaux de barbaque est un modèle d'ambiance. Et Moby Dick peut ainsi se lire à travers ses seuls dessins, tant ils tapent juste.
Ouvrage de référence, dans une version, il va sans dire, allégée et avec la traduction de Jean Muray (LA référence après celle, plus ancienne de Lucien Jacques, Joan Smith et Jean Giono), il complète la collection que Sarbacane est en train de constituer autour des grands classiques illustrés. Mais, là, il y a un sommet qui est sans doute atteint. Et pour ce prix (car il faut bien aussi parler du prix des livres), c'est sans nul doute un cadeau. Un vrai bonheur, éternel, de retrouver Ismaël, Achab, Queequeg, Stubb et tout l'équipage du Pequod. Il y a dix ans, Casterman avait sorti une bande dessinée tirée de ce même monument et c'était le génial Denis Deprez qui était aux dessins, avec Jean Roaud au scénario. On trouvait ça très bien à l'époque. Cette fois, Lomaev va encore plus haut.
Moby Dick, Herman Melville (trad. Jean Muray), dessins d'Anton Lomaev, ed. Sarbacane, 165 pages, 29,90 euros