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The killer inside me

Littérature noire

Danser dans la poussière : grand roman de Thomas H. Cook

Une perle. Danser dans la poussière, la livraison 2017 de l'auteur sudiste, installé à Cape Code, est une énorme belle surprise. Thomas H. Cook sort son même canevas, ce qui fait la magie très particulière de ses romans : un crime ancien, un amour malheureux, mais avec cette fois une maestria renouvelée. Pourquoi ? Sans doute parce qu'il place ses personnages en Afrique orientale, quand, auparavant il aimait situer ses intrigues dans une Amérique aisée, une Amérique de professeurs, en tout cas un environnement occidental. Ce dépaysement est une réussite totale et ses personnages, même si on les reconnaît à mille lieux, respirent dans ces pages, d'une épaisseur propre au talent de cet homme.

On est dans les années 2000. Ray Campbell est analyste de risques à New-York. Son ami, Bill Hammond, puissant dirigeant d'une ONG l'appelle un jour pour lui dire qu'une vielle connaissance africaine a été assassiné dans un quartier oublié de la Grande Pomme. L'homme en question, Seso, était le majordome de Ray quand celui-ci était en mission humanitaire au Lubanda, il y a 20 ans. Cet assassinat, il veut le résoudre. Parce que Seso était un homme de valeur, honnête et parce que l'histoire de Ray au Lubanda s'est mal terminée. Il a quelque chose à se faire pardonner. En arrivant dans ce petit pays (imaginaire mais frontalier du Ghana), Ray a rencontré une blanche, Martine Aubert, né là, grandie là, attachée à cette patrie. Malheureusement, la ferme qu'elle occupe ne produit que le strict nécessaire pour survivre. Le gouvernement lui somme de planter du café pour créer de la richesse. Elle se défend, arguant que les Lubandais ne boivent pas de café mais consomment les céréales qu'elle cultive.Le pays, géré par un président humain mais utopiste, vit des heures de tensions, menacé au nord par un chef de guerre sanguinaire. Ray se souvient de ces jours chauds et durs, de ces jours où il a cherché à capter l'amour de Martine, il se souvient de tout cela comme il approche doucement des nouvelles sphères du pouvoir lubandais pour trouver le meurtrier de Seso.

Avec finesse, une juste dose politique et sans morale inutile, Thomas H. Cook dresse en creux un portrait de l'Afrique contemporaine grâce à une Martine lucide et critique (sans doute son plus beau personnage féminin de ces dernières années). Elle qui ne supporte pas de reçevoir l'aide humanitaire qui place l'Africain dans une position de subalterne, elle qui refuse cette course à l'amélioration des conditions car elle a vu ce que cela a entraîné dans les autres pays d'Afrique, jalousie, vols, guerres... Une Martine Aubert vent debout contre l'injustice qui lui est faite, à elle et à son pays. Décidée à tout dénoncée. A travers elle, l'auteur démontre une certaine connaissance de ce grand continent, par exemple dans les descriptions du peuple nomade des Lutusi.
Danser dans la poussière, comme l'oeuvre entière de Cook, est une nouvelle fois d'une sensibilité extrême, les sentiments y sont déposés avec cette pudeur qui est celle de Thomas H. Cook, l'amour à sens unique de Ray illustrant aussi l'incompréhension de cet Occident en Afrique. Et certains passages sont ainsi d'une beauté simple (mention spéciale au traducteur). " La vie, c'est la morale de leçons que l'on apprend trop tard, pourtant je ne pouvais empêcher mes pensées de s'attarder sur l'image de Marine devant la tombe de son père, sur la sensation de son bras sous le mien tandis que nous reprenions le chemin de la ferme. A chacun de nos pas, je me sentais de nouveau subjugué et exalté par sa singularité, par le fait qu'il n'existait tout simplement pas d'autre femme comme elle, sur la terre entière." Polar fait de cette terre rouge de la savane et de sentiments tellement forts, avec une fin que l'on ne peut deviner, Danser dans la poussière fait parfois songer à La constance du jardinier de John Le Carré. La comparaison est peut-être flatteuse mais ce nouvel opus de Cook entre directement dans les dix meilleurs livres lus cette année 2017.

Danser dans la poussière (trad. Philippe Loubat-Delranc), ed. Seuil, 355 pages, 21 euros.
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