27 Novembre 2017
Thomas Ferrer en a marre de passer pour un loser.
Il vole des cailles, des bécasses dans des élevages landais depuis des mois, il vivote de petits trafics et ça lui permet à peine de garder hors de l'eau. Alors quand Baxter essaye de l'arnaquer de quelques billets pour des cages de volatiles qu'il s'est usé à voler au milieu de la nuit, alors que ce même Baxter vient, sous ses yeux, de ranger une montagne de pognon, Thomas Ferrer pète un câble et défonce la tête du receleur. Il le laisse inconscient et vide son tiroir de fric : 110 000 euros. L'embellie ? Non parce que ce fric n'est pas qu'à Baxter et quand celui-ci se réveille la tête en vrac, il appelle ses deux partenaires de crime, les "frères", Corral et Villeneuve. Pas la mafia certes, mais des pas gentils, des qui ont la rouste facile. Et tandis qu'un ouragan s'abat sur la côte Atlantique, Thomas va se faire courser par le trio. Vent à 200 km/h, pluies tropicales, pins effondrés au milieu de la chaussée, dans ce décor dantesque, le voleur de poules, littéralement, va trouver refuge, chez un vieux cinglé, toujours traumatisé par la guerre d'Algérie... C'est Fort Alamo.
Marin Ledun aime travailler l'ADN de ses personnages, les rendre consistants au point de les connaître quasiment comme un membre de la famille. Avec Ils ont voulu nous civiliser, il dresse trois portraits, Ferrer, Baxter et le vieux, surnommé Alezan, trois hommes lessivés par la violence du monde, chacun à leur manière. Ce que dit Marin Ledun, c'est l'injustice de cet univers et une sorte d'aveuglement aussi de celui qui est frappé par l'injustice et qui a soif de revanche. Au coeur de l'ouragan, Ferrer s'interroge, s'en veut, se rend compte de la futilité de cet argent volé mais plonge dans la violence parce qu'il ne voit pas quoi faire d'autre. Ce sera pareil qiand Alezan lui offira une porte de sortie. Pour Alezan et Ferrer, il s'agit de cela, de se venger de ce qui leur a été imposé, de saisir l'occasion de hurler merde... Alezan ressasse son Algérie, la fille qu'il aimait et qui a été assassinée. Ferrer pense à sa jeunesse sans argent, les petits boulots minables. Si la narration observe la règle d'or du crescendo, les nombreux flash backs brisent un peu trop la tension, notamment dans le dernier tiers du roman. Mais, il y a une ambiance : cette nuit, cette tempête, cette maison isolée, créent un vrai cadre. C'est étonnant d'ailleurs comme les auteurs, ces temps-ci, aiment à s'appuyer sur des catastrophes naturelles, des fins de monde. Après deux romans au Pays Basque, Marin Ledun poursuit son oeuvre, bien ancrée dans le terreau social du noir français, avec des personnages toujours aussi riches. Ils ont voulu nous civiliser a un petit côté d'ultime western qui va vraiment bien.
Ils ont voulu nous civiliser, ed. Flammarion, 226 pages, 19 euros