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The killer inside me

Littérature noire

Celui qui va vers elle ne revient pas : l'enfermement juif

Au XXIe siècle, il existe encore des bouts d'Amérique, à quelques kilomètres de New-York en l'occurrence, où l'on ne parle que yiddish, où la télévision est considérée comme objet maléfique, à l'instar d'internet, où les mariages sont arrangés, la contraception quasi proscrite... bienvenue dans le monde des juifs hassidiques, branche ultra-orthodoxe du judaïsme dans laquelle est née l'auteur, Shulem Deen. Les premières pages de Celui qui va vers elle ne revient pas dressent le drame de ce qui est sa propre histoire. Shulem Deen raconte son exclusion de cette communauté de New Square, petit village régi entièrement par les règles hassidiques. Au fil du livre, le banni raconte sa vie, son enfance à Brooklyn, les prières, le shabat. Puis sa scolarité dans une yeshiva (école) à Montréal. Enfin, son entrée chez les skver, une "famille" de la branche hassidique à New Square, là où il va étudier la Torah pendant ses années adolescentes. Rites, interdictions, fêtes religieuses, Shulem Deen va finir par être marié, quasiment de force, à Gitty, une juive, vierge forcément, comme lui... Ignorant total de ce qu'il convient de faire avec une femme, il va prendre des "leçons" avec un rabbin. Un ersatz de vie de couple va voir le jour, avec très vite une première petite fille, une deuxième... En même temps, Deen voit bien qu'une famille qui s'agrandit cela nécessite des revenus conséquents. Qu'ils n'ont pas. Il va donc chercher du travail. Dans la communauté. Puis à l'extérieur. L'achat d'une voiture sera peut-être le premier pas vers ce que ses semblables appellent l'hérésie. Puis il y aura la radio, l'ordinateur. Internet. Et enfin, la télévision. Dans un monde où rien ne peut entrer, ni livres étrangers, ni journaux, ni films ou musique, Shulam Deen, très éveillé, vit un bouleversement total de ses certitudes. Et il va douter...
Document rare, Celui qui va vers elle ne revient pas est typiquement le livre d'un individu qui a échappé à une secte. Tous les ingrédients sont là. Sauf qu'il s'agit d'une des trois religions monothéistes, dans un pays "parfaitement" civilisé... Un judaïsme ultra orthodoxe, obscurantiste et violent pour les individus qui en prendraient seulement conscience. On se souvient du film Witness, dans les années 80, au coeur de la communauté Amish. Là, le témoignage est évidemment plus puissant parce qu'il détaille l'archaïsme de ces pratiques et les conséquences de ceux qui veulent y échapper : menaces verbales, physiques, pression sur les juges au moment du divorce, enfants enlevés... Shulam Deen offre un témoignage très émouvant, rempli de pudeur, d'une certaine retenue mais froidement lucide. Il permet de comprendre, entre les lignes, la force du monde juif aux Etats-Unis et donc, en quelque sorte, son poids dans les relations internationales. Celui qui va vers elle ne revient pas est aussi la preuve que l'extrêmisme religieux n'est pas que le seul fait d'une branche dévoyée de l'Islam. A voir vivre les hassidiques, on pense qu'ils n'auraient aucun mal à s'armer pour défendre leurs "droits", leur terre y compris s'ils étaient dans l'illégalité. Celui qui va vers elle ne revient pas n'est pas toujours facile à lire, les précisions sur les fêtes embrouillent notre calendrier habituel, les termes yiddish sont souvent compliqués, mais l'histoire est tellement extraordinaire que le lecteur passe au-dessus de ces légers obstacles. Un livre qui remue.

Celui qui va vers elle ne revient pas (trad. Karine Regnier-Guerre), ed. Globe, 409 pages, 22 euros.
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