Littérature noire
18 Décembre 2017
On dit que c'est un roman fondateur. Une sorte de mythe. Parce qu'il n'est plus édité et difficile à trouver ? En partie sans doute. Mais Les nouveaux centurions, paru aux Etats-Unis en 1970 (7,5 millions d'exemplaires) et en France e 1973 (Jean-Claude Lattès), est d'abord un témoignage de ce que c'était un policier à Los Angeles au début des années 60. Joseph Wambaugh inaugure là ce qui va faire sa renommée : des vies de flics à LA. Ellroy lui-même a dit avoir été touché par le roman, la forme personnelle de Wambaugh.
Les nouveaux centurions se sont Gus, Roy et Serge, trois recrues que le lecteur découvre en août 1960 en train de terminer leurs "classes" pour intégrer le LAPD. Trois jeunes gens, blancs, avec leurs petits problèmes de familles, d'identité parfois, de peur aussi. Trois jeunes blancs qui vont être intégrés à différentes divisions de la ville mais essentiellement, au sud. Là où il se passe quelque chose. Mutés de service en service, pour apprendre le plus vite possible, ils vont travailler en patrouille, au maintien de l'ordre la nuit, rouler dans Florence Avenue, se rendre sur des lieux de cambriolage, des disputes conjugales. Parfois c'est plus sordide, avec des maltraitances d'enfants. Ou alors il s'agit de ramasser des prostituées, des ivrognes sur la voie publique. La violence est là mais l'uniforme est craint, respecté. Jusqu'au jour où Roy se fait tirer quasiment à bout portant.
Août 61, août 62, aoüt 63... ainsi de suite jusqu'à 65 et les émeutes sanglantes de Watts, rebellion de dizaines de milliers de noirs, contre leurs conditions, leurs traitements, leurs vies. Scènes de pillages, de mitraillages, d'incendies. Une première aux Etats-Unis. Wambaugh apporte la vision de la police. Et c'est ainsi très intéressant de comparer avec le récent Côté Ghetto de Jill Leovy, quarante ans plus tard. Bien sûr Wambaugh ne fait pas preuve de racisme et il ne l'a jamais fait dans son oeuvre. Mais on sent ses doutes sur la manipulation de la communauté noire par les mouvements politiques. Du moins il s'interroge et s'inquiète de ce qui va arriver dans les prochaines décennies. " Des tas de choses sont en train de se passer ici. De grandes choses. Cette histoire de droits civils et les Black Muslims et tout ça ne sont juste que le début de quelque chose. L'autorité est contestée, et les Noirs sont sur le devant de la scène, mais ils ne sont juste qu'une petite partie du mouvement. Tu auras un boulot impossible dans les cinq années à venir ou alors je me serais complètement trompé." Les policiers ont un regard lucide sur leur métier, il y a beaucoup d'humanité et c'est ce que cherche Wambaugh, rendre plus vrai ces hommes en bleu. Pourtant ce n'est pas une vision unilatérale et l'auteur ne se gêne pour décrire les capharnaums dans les lesquels vit la population, les rats, les merdes de chien, les poubelles, les immeubles en miettes... La Californie du côté obscur déjà.
Sur un rythme constant grâce à trois personnages distincts et des missions toujours différentes, Les nouveaux centurions est plus qu'une succession d'anecdotes, c'est le roman des flics d'une des villes les plus chaudes du monde. Avec un truc diablement prophétique, à la fois sur le polar et sur la société. Oui, quarante ans après c'est toujours un sacré livre.
Les nouveaux centurions (trad. François Truchaud), ed. JC Lattès Edition Spéciale, 448 pages, 25 euros en occasion