Littérature noire
8 Janvier 2018
Gallmeister publie vraiment beaucoup désormais. Trop ? Peut-être. Surtout quand on lit par exemple Une question de temps, de Samuel W. Gailey, qui a tout du roman noir écrit en vitesse, comme qui dirait sur un coin de table, une histoire simpliste, des personnages caricaturaux. Parfois le lecteur semble être dans un dessin animé. Pour adultes. Mais un dessin animé quand même. Alice a quitté le foyer familial à quinze ans parce qu'elle se reprochait la mort de son petit frère à un moment où il était placé sous sa surveillance. Après six ans d'errance la voilà qui se réveille nue à côté du patron de son bar. Lui est mort d'une crise cardiaque. Dans la chambre il a laissé un sac rempli de drogues et de 100 000 dollars. Deux hommes solides viennent récupérer le "matos", deux policiers aussi, les quatre s'entretuent et Alice prend la poudre d'escampette. De Philadelphie, elle va essayer de rejoindre sa Caroline du Nord natale, embarquant par accident une jeune ado, elle aussi en fugue. Le propriétaire du sac-trésor, l'Homme-Enfant va partir à sa recherche avec Philip, géant mutique.
L'histoire est légère, le roman est court mais il trouve le temps pour, d'abord, une belle erreur artistique : "Angus Young hurlait le refrain de Hells Bells" (page46). Qui ignore encore aujourd'hui que le chanteur d'AC/DC s'appelle Brian Johnson et qu'Angus Young ne joue que de la guitare. Plutôt bien d'ailleurs. Erreur technique ensuite : au bar à strip tease, la barmaid demande "Pression ou bouteille ? - Pression, croassa-t-il à nouveau..." Deux pages plus loin, même scène, " Tammy leva les yeux vers le géant. Il agrippait le goulot de sa Budweiser et dissimulait presque toute la bouteille dans son énorme paluche." Alors, pression ou bouteille ? D'accord ce n'est pas bien important mais le personnage central d'Alice n'est vraiment pas crédible. Notamment son alcoolisme. Encore une fois, et contrairement à ce que qu'écrit Samuel Gailey, les auteurs qui s'intéressent à cela ne devrait pas se priver d'aller dans des réunions des Alcooliques Anonymes, il verrait à quel point un alcoolique, un vrai, n'a pas la volonté que peut avoir Alice, il verrait dans quel état sont ces femmes qui se sifflent une bouteille de pastis, deux bouteilles de vin ou quinze bières. Quand Crumley écrit sur l'alcool, ça fonctionne, c'est réaliste. Quand Eric Maravelias parle de dope dans La faux soyeuse, ça sonne vrai. Les addictions ne peuvent pas être juste des gadgets.
Et puis même L'Homme-Enfant est caricatural, rappelant dans son attitude et ses dialogues, le personnage du serial killer de No country for old men de Mc Carthy, joué par Javier Bardem dans le film des Coen. Et que dire de son acolyte ? Même la dernière scène dans la cabane d'Elton n'est pas très crédible si l'on suit vraiment l'histoire.
Pur roman de gare, Une question de temps ravira ceux qui sont sensibles à ce rythme, ce type de road trip, qui ne soucie pas de vérité ou de cohérence. Par contre on ne voit toujours pas où le JDD a vu du Larry Brown chez Gailey...
Une question de temps (trad.Laura Derajinski), ed. Gallmeister, 328 pages, 21, 30 euros.