Littérature noire
5 Février 2018
Exercice de style ou hommage à la littérature policière ? Le lecteur hésite un long moment à l'issue de Coupez ! De Cameron McCabe. Voilà un roman britannique de 1937 qui débarque avec une aura assez singulière, de livre culte, de polar définitif, couplé d'une sorte de mystère sur l'auteur, mystère levé des décennies plus tard quand on apprend que Cameron Mc Cabe, de son vrai nom Ernst Borneman était un réfugié allemand, présent en Angleterre depuis quatre années, quand il écrivit ce premier roman, à seulement 22 ans. Pour ne rien gâcher, c'est Jonathan Coe qui fait la préface de l'édition française.
Voilà donc plusieurs éléments qui tendent à imposer Coupez ! comme une oeuvre inclassable. C'est le cas. L'histoire est complexe à souhait, avec moult tiroirs, zone d'ombres, personnages. Mais pour faire simple : Cameron McCabe (oui, c'est le premier rôle) est monteur dans un studio de Londres. Son producteur lui demande de remonter le film sur lequel il travaille et de couper la fille du second rôle. Fille, douée par ailleurs, qui clamse dans le bureau d'un autre monteur en pleine nuit. Nuit où toute l'équipe ou presque fait la fête dans une discothèque. L'acteur scandinave qui tient le premier rôle est soupçonné. D'autant qu'il a pris la poudre d'escampette. Et puis non, on le découvre dans un minable appartement, une balle dans la tête. Smith est chargé de l'enquête. Et c'est un vrai face à face Mc Cabe / Smith qui va commencer, chacun menant les investigations de son côté...
Coupez ! est extrêmement marqué par la littérature policière de cette époque, triangle amoureux, jalousie, stars du cinéma, soirée sélect. Pour cela, rien à dire, l'auteur est impeccable. Peut-être un peu trop même dans cette volonté de respecter les codes à la Agatha Christie, puisque évidemment on pense à elle. Et dans ces codes, il y a tout de même une certaine superficialité : Cameron McCabe ne nous fait pas pénétrer les arcanes du cinéma anglais, il n'y a pas tellement de corruption, de passe droits, de mauvais coups, c'est plutôt en surface. Au final, il y a tout de même peu d'éléments historiques, sociétaux. Mais le plus gênant, en 2018, c'est quand même la langue. L'usage du passé simple en devient parfois insupportable tant cela paraît forcé, artificiel. Est-ce un problème de traduction ? On a du mal à le croire. Mais cette page qui commence par "nous partîmes" et se poursuit par " nous sortîmes... nous mîmes... longeâmes... dépassâmes... entrâmes... aperçûmes..." Voilà qui est réellement indigeste. Après, le duel Smith / McCabe est bien tourné mais justement trop tourné. En fait, c'est tellement trop british que ça en devient presque caricatural dans les attitudes, les dialogues. Même les derniers mots de Müller en épilogue rajoute du style, là où il y en a déjà beaucoup, voulant interpeller le lecteur, lui faire croire que ce qu'il lit est authentique. Too much. On sort un peu embarrassé de cette lecture, à se demander si on est passé à côté d'un chef-d'oeuvre ou d'une caricature.
Reste un très intéressant appendice sur l'auteur, une interview assez passionnante.
Coupez ! (trad. Héloïse Esquié), ed. Sonatine, 377 pages, 21 euros