Littérature noire
12 Mars 2018
Ces lourds secrets de famille que l'on tait. Ces mensonges que l'on ravale pour ne pas froisser le père, la mère. Dans L'appel du fleuve, Robert Olen Butler convoque deux vétérans : le père, revenu de la Seconde Guerre Mondiale, le fils, Robert, ancien du Viet Nam. Et il y a aussi l'autre frère, le plus jeune, Jimmy, qui a fui la conscription, au grand dam du patriarche qui li a tourné le dos. Quarante-cinq ans plus tard, le père vient de mourir. Robert est remué par tout un tas de souvenirs et notamment l'offensive du Têt, à Hué, principal théâtre de ce moment capital du conflit vietnamien. Ce jour-là, le jeune Robert, pourtant affecté à un devoir administratif de l'armée US, s'est retrouvé coincé dans la rue, planqué au creux d'un arbre et, terrorisé, a fait feu sur un inconnu, une ombre qui passait. Depuis, cette mort le hante. Comme la perte de cet amour asiatique si parfait... Sur son lit de mort, son père, peu apte à l'affection, lui a reproché d'avoir été un planqué pendant son service militaire. Dur, dur. Et au milieu il y a la mère. Qui appelle Jimmy, pour la première fois depuis plus de quatre décennies, afin qu'il vienne enterrer son père. Et les rancunes. Dans cette ville de Floride, Talahassee, où l'action se déroule, un SDF psychotique traîne sa misère...
Si l'aspect troubles post traumatiques, l'héritage des conflits paraît très intéressant au sein d'une même famille, L'appel du fleuve tourne assez vite au pur mélo et donc aux rivalités intra familiales, aux petites guerres larvées, aux fausses habitudes et aux convenances. La famille comme un conflit mondial ? Robert Olen Butler ne va pas jusque là mais en tout cas il dessine une saga familiale où après le nazisme, après le communisme, c'est l'arrière petit-fils qui va combattre le djihadisme, prouvant aussi que les Etats-Unis sont un pays presque tout le temps en guerre ! Mais ce n'est qu'un aspect du roman, l'auteur s'attachant surtout aux liens compliqués qui unissent une famille, un couple. Les amateurs du genre apprécieront le style fin, pudique. Les autres rongeront leur frein.
Une petite remarque tout de même, le titre original est Perfume river, une référence directe à la Rivière des parfums qui coule à Hué, ville centrale de la mémoire de Robert. Curieusement l'éditeur a choisi un obscur L'appel du fleuve, titre par ailleurs déjà utilisé comme l'explique la première page du livre.
L'appel du fleuvre (trad.-Jean-Luc Piningre ), ed. Actes Sud, 270 pages, 22 euros.