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The killer inside me

Littérature noire

Les ombres de Montelupo : la merveille de Valerio Varesi

Pour les Toscans, les Lombards, les Italiens du Nord globalement, la cueillette des champignons relèvent parfois de bien plus que de la passion. Presque une folie. L'automne venu ils sont des milliers à arpenter les sous-bois. Certains posent leurs congés annuels spécialement. Certains établissent des zones privées de cueillette. Il y a même eu de terribles faits divers liés aux champignons. Mais qui un jour à manger un plat de pâtes fraîches à la boscaiola peut comprendre cet engouement populaire.
Bref, dans Les ombres de Montelupo, troisième tome des enquêtes de l'impassible Soneri, ce dernier se rend dans le village de son enfance, celui de son père en fait, au-dessus de Parme. Un village de moyenne montagne, qui à l'automne ferme doucement ses volets. Soneri prend une chambre à l'auberge de l'Ecureuil et prévoit de longues marches pour cueillir bolets, cèpes ou tout autre champignon. Renouant là avec des moments chers de sa jeunesse... Sauf qu'il ne va trouver que des trompettes-de-la-mort, champignon comestible certes mais que les villageois considèrent comme annonciateur de malédiction. Et justement, sur les murs du village une curieuse affichette fleurit, assurant que Palmiro Rodolfi, malgré les rumeurs, est bien vivant. Rodolfi, la famille qui a fait fortune dans la charcuterie, dont l'usine fait vivre quasiment tout le village. Mais une famille, forcément, aux lourds secrets. Si l'ensemble des villageois lui doit une forme de confort, dans le même temps une énorme rancoeur couve depuis des décennies. Soneri ne veut surtout pas se mêler de quoi que ce soit, lui qui a du mal à se faire admettre, malgré ses vielles connaissances et le souvenir de son père. Et puis voilà que le patriarche Palmiro Rodolfi est retrouvé pendu chez lui. Que son fils est porté disparu. Et que le Maquisard, dernier homme à vivre dans les hauteurs, est recherché par les carabiniers.
Valerio Varesi cache une âme de poète dans ses romans policiers. Il est, un peu rapidement, comparé à Simenon. Mais non, le Turinois possède un univers très original, contemplatif, philosophique, où se mêlent autant l'amour des lieux qu'il donne à voir, que la gastronomie transalpine et cette météo du Nord, souvent aux prises avec les nuages, le brouillard. Mais la force de ses romans, c'est bien sûr Soneri, qui a quelque chose de Maigret sans doute. Personnage mutique à la riche vie intérieure, commissaire ici en repos qui se voit rattrapé à la fois par ce fait divers et par son passé, par l'histoire de son père, son lien avec Palmiro Rodolfi. Varesi nous offre donc une belle et humble leçon de politique, sur les ravages de l'argent dans des sociétés rurales qui n'avaient pas l'habitude d'en manipuler, il nous rappelle aussi, et c'est valable également en France, que nombre de fortunes du siècle précédent se sont constituées à l'ombres des régimes fascistes. Enfin, dans une prose merveilleuse, une sorte de délicatesse virile, Varesi démonte les clichés sur cette vie paysanne, la mythologie du village, que l'on retrouve également en Corse et dans le sud de l'hexagone. Non, la solidarité, l'entraide ne sont plus des valeurs partagées. Elles ont été remplacées hélas, par la cupidité et la jalousie. Pour tout cela, Les ombres de Montelupo sont incontestablement le meilleur des Varesi, certaines scènes de montagne ou celle au bar lorsque le personnage en chaise roulante débarque, alternent avec brio l'ode à la Nature et la décadence du genre humain. Forcément, il y a une impatience à lire la suite.

Les ombres de Montelupo (trad. Sarah Amarani), ed. Agullo, 296 pages, 22 euros
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