Littérature noire
20 Mars 2018
L'exercice terrible de la comparaison d'une traduction plaide rarement pour la première version. Ici donc Wild Town, publié en 1957, entre Hallali et L'échappée, et édité en 1965 en France par Gallimard (traduit par Noël Chassériau). On avait déjà dit tout le bien possible, là, de cette histoire écrite comme un condensé de l'oeuvre de Thompson. Mais en 2018, Pierre Bondil, le traducteur, et Rivages, l'éditeur, proposent une relecture plus proche de la langue de l'auteur. Cela commence par le titre : Ville sans loi. Et cela va même plus loin. Comme pour Une jolie poupée, il y a un an, voyage entre deux traductions espacées de 40 ans. Certaines différences (erreurs ?) sont hallucinantes.
1) Page 19, édition Rivages : McKenna se prénommait David, mais presque aussi loin que remontaient ses souvenirs, on l'avait appelé Bugs. Ce surnom correspondait bien au lourdaud de gosse qui, bien qu'âgé de dix ans seulement, était presque aussi grand et imposant que son instituteur.
édition Gallimard : McKenna se prénommait David, mais on l'avait toujours appelé Dingo. Dingo, le gamin de dix ans, emprunté et presque aussi grand que on maître.
(pour information à destination de ceux qui ne connaissent pas encore ce roman de Thompson, Bugs en est le personnage central)
2) page 95, édition Rivages : Bugs travaillait comme agent de surveillance dans une usine d'avions quand la Seconde Guerre Mondiale avait éclaté. Depuis le début de sa carrière professionnelle, il avait presque toujours tenu des emplois de gardien de nuit, d'agent de sécurité ou ce genre de choses.
édition Gallimard : Au début de la Deuxième Guerre Mondiale, Dingo était gardien dans une usine d'aviation. Depuis qu'il était en âge de gagner sa vie, il avait presque toujours occupé des emplois de gardien ou de veilleur de nuit.
3) page 116, édition Rivages : Bugs était donc de retour dans son habitat naturel : celui, vulgairement nommé, de la mouise dans laquelle il semblait éternellement replonger. Et cette fois, non seulement il n'avait pas de rame, mais il n'avait pas de bateau.
édition Gallimard : Dingo se retrouvait donc une fois de plus dans son milieu normal : le merdier, pour parler vulgairement, dans lequel la fatalité devait le fourrer tôt ou tard. Et cette fois, non seulement il n'avait pas de rame, mais il n'avait même pas de bateau.
4) page 130 édition Rivages : Dans sa boîte lettres, il y avait deux fiches signalant des appels téléphoniques. Deux fois, Mme Hanlon l'avait prié de la rappeler. Bugs les déchira en mille morceaux qu'il laissa tomber dans un crachoir rempli de sable, puis il entama sa ronde nocturne.
édition Gallimard : Il y avait deux messages téléphoniques dans son casier. Les deux priaient M. McKenna de rappeler Mme Hanlon. Dingo les déchira en menus morceaux qu'il jeta dans une jarre de sable et commença sa ronde.
5) page 194 édition Rivages : " c'est vraiment pas difficile à expliquer ce qui s'est passé hein ? reprit Ford. Pour sûr que plein de gosses de quatre ans, ils seraient capables d'y arriver sans forcer. Dudley lui a ouvert sa porte, à ce gars, parce qu'il était investi d'une autorité, alors il était bien obligé."
édition Gallimard : "c'est tout simple, pas vrai ? reprit Ford. Un môme de quatre ans aurait découvert ça tout seul, et sans se fouler encore. Dudley a fait entrer ce type dans sa chambre. Pourquoi ? Mais parce qu'il pouvait pas faire autrement, tiens !"
6) dernière page, dernières lignes édition Rivages : quand il arriva à la porte de l'hôtel, il resta un moment sans bouger, à humer l'air frais de la nuit et à contempler, au-dessus de sa tête, la beauté déchirante du ciel de l'ouest du Texas. Pour être une belle nuit, c'était une belle nuit, jugea-t-il. Pour sûr, et c'était pas lui qui dirait le contraire.
édition Gallimard : il s'arrêta un instant à la porte de l'hôpital, aspira à pleins poumons l'air froid de la nuit et contempla la pathétique splendeur du ciel du Texas. Une belle nuit, pas d'erreur. Oui m'sieur, une bien belle nuit, aussi sûr que deux et deux font quatre.