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The killer inside me

Littérature noire

Pour services rendus : drôle, politique et génial

Iain Levison est un génie. Passant du polar social de ses débuts (Un petit boulot) au pamphlet sur la justice américaine (Arrêtez-moi là) et un précédent opus mâtiné de science-fiction (Ils savent tout de vous). Mais que le lecteur ne s'y trompe pas : tout est politique chez Levison. Sous des airs de littérature de genre, l'Américain dénonce au fil de son oeuvre et avec une finesse et un humour incomparables, un système global, de manipulations de masse, de protection des nantis, une lutte des classes perpétuelles. Et Pour services rendus en est une nouvelle brillante illustration.
Iain Levison s'empare cette fois du thème de la guerre du Viet-Nam. De deux soldats qui ne se sont pas vus depuis plus de 40 ans. L'ancien sergent Fremantle est devenu chef de la police d'un bled dans le Nord. Il a épousé une Vietnamienne et déroule une fin de carrière paisible, s'attelant à traquer le mensonge chez les prédateurs sexuels, les voleurs de sa petite ville. Parce que le mensonge, c'est quelque chose qu'il exècre plus que tout, ça le démange. Alors quand son ancien troufion Bill Drake, devenu sénateur du Nouveau Mexique l'appelle pendant sa campagne de ré-élection, il n'hésite pas. Une forme de solidarité bien sûr et puis ce drôle de sentiment de revivre depuis bien longtemps des émotions profondément enfouies. Le sénateur a fait une déclaration légère sur son expérience au Viet-Nam, à propos d'une blessure, de la médaille qu'il a reçu mais un ancien du bataillon a posté sur Youtube un commentaire assurant qu'il ment. L'adversaire de Bill Drake fait mousser l'affaire. Fremantle, avec son autorité d'ex sergent, doit intervenir à la télé pour dire combien le sénateur a mérité ses décorations. Même s'il faut s'arranger avec la vérité.
Comment, en si peu de pages (220 !), Levison parvient-il à faire vibrer son histoire ? Sans mots superflus, il donne corps à tous ses personnages, il esquisse un portrait en dix lignes, sans s'apesantir, avec une incroyable et délicate humanité. Ces bonhommes ne sont pas des pourritures de tueurs de Viets, non, ils ont été envoyés à la boucherie, ils ont fait comme ils pouvaient pour revenir intacts. Sans avoir fait cette guerre, l'auteur raconte cela avec une belle distance, tout en prenant le parti de ces jeunes hommes déboussolés, trahis aussi. Ecrire sur le conflit vietnamien sans y a voir mis un pied, c'est déjà remarquable. Mais c'est la manière de Levison de lier la jungle, la chaleur, les meurtres d'innocents, avec l'actualité et le monde politique américain. On a du mal à penser qu'il n'écrit pas sur le paysage politique américain actuel, mettant en fiction un article, une brève qu'il a peut-être vu passer dans ses innombrables lectures du quotidien. L'air de rien, dans ce nouveau roman, il avance ses pions, comme dans une sorte de prise inextricable et le lecteur voit Fremantle, homme honnête, obligé de faire des choix insupportables pour sa morale, lui, le parangon de probité fraye avec la politique, ss compromissions. Cet ancien sergent est magnifique dans ses contradictions mais c'est à se demander, une fois encore, comment Levison parvient à lui donner cette épaisseur en si peu de mots ?
Pour services rendus est incontestablement une lecture intelligente, drôle, pétillante. Est-ce le meilleur des Iain Levison ? Question cruelle. Il est sans doute dans le tiercé de tête avec Un petit boulot et le mésestimé Trois hommes, deux chiens et une langouste.

Pour services rendus (trad. Fanchita Gonzalez Batlle), ed. Liana Levi, 224 pages, 18 euros
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C
mésestimé Trois hommes, deux chiens et une langouste ? pas pour tout le monde !
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