Littérature noire
30 Avril 2018
Rose Mabille-Pons. 21 ans. Diplômée de khâgne. Aînée d'une fratrie de six, habitant en famille à Tournon, avec Marcel, le père et Adélaïde, mère infirmière au tempérament explosif. Rose donc, qui lit du Phèdre, du Cervantes, du Rabelais aux clientes du salon de coiffure de son amie Vanessa, qui écoute Motley Crüe et Korn, va tenter de démêler le sac de noeud dans lequel s'est fourré son jeune frère Gus, adopté comme deux autres membres de la famille, en Colombie. Gus, qui a déjà redoublé deux fois le collège, est soupçonné du braquage, avec deux comparses, d'un bureau de tabac. Le propriétaire des lieux se retrouvant désormais entre la vie et la mort. Toute la famille va se mobiliser pour prouver l'innocence du fiston. En face, un jeune inspecteur tape dans l'oeil de Rose.
Six mois après le noir Ils ont voulu nous civiliser, Marin Ledun se met donc au "rose" avec ce roman-tribu, clin d'oeil assumé à Pennac et sa série Malaussène. Car dans ce Salut à toi ô mon frère, on retrouve des personnages XXL, quasiment tirés d'un dessin animé, une mère drôlement hystérique et révolutionnaire, un père soumis et affectueux et puis ce commissaire divisionnaire, obtus, pétri de certitudes, aux bras comme des ailes de moulin. Avec ses dialogues façon Audiard, trempés dans une gouaille jouissive, Ledun qui semble s'être beaucoup amusé, offre aussi une revue d'effectif de culture populaire, de Sergio Leone à Velazquez, de Francis Ponge à Alice Cooper, de James Hetfield à Peter Jackson. Le heavy metal et la peinture espagnole, la littérature française, le cinéma grand public. Point de frontières. C'est aussi le message du livre, en filigrane. Parce que si l'intrigue est aussi fine qu'une feuille de papier à cigarette, l'auteur ne se gêne pas pour tacler les étroits d'esprit, les racistes à la petite semaine, la beaufferie quotidienne. C'est fait avec de la joie, de l'humour donc ça passe très bien, ça glisse même. Avec force formules telle " si on pouvait produire de l'électricité avec les conneries effarantes que débite le commissaire, on résoudrait le problème de l'indépendance à l'industrie nucléaire française ". Certains lecteurs trouveront cela exagéré mais il s'agit bel et bien d'un exercice de style, dans la grande tradition de la littérature tricolore. Et puis les scènes au salon de coiffure valent le détour.
Salut à toi ô mon frère confirme le talent multiforme de Marin Ledun et on retrouve là à la fois ses aptitudes au roman jeunesse et sa faculté à donner chair avec rapidité à ses personnages. Il y a juste un peu plus de folie cette fois, un tourbillon de fraternité pour sauver le petit frère, attraper l'amour quand il passe et réparer les injustices. Huit ans après La guerre des vanités, l'auteur revient à La Série Noire avec un roman frais comme tout.
Salut à toi ô mon frère, ed. La Série Noire, 276 pages, 19 euros