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The killer inside me

Littérature noire

44 jours : quand le football était un putain de roman

Quand David Peace publie 44 jours (The Damned Utd) en 2006, Brian Clough est mort depuis seulement deux ans. Et il choisit une époque vraiment spéciale de la vie de ce grand manager du football anglais : les années 72-74, quand Clough tutoie à la fois les sommets et le vide. Il aurait pu raconter les années 80 quand il est le premier manager britannique à remporter deux fois de suite la coupe d'Europe avec Nottingham Forrest. Non, il préfère évoquer cette gloire et cette chute en douze mois sulfureux.
Surtout il met l'accent sur la dimension, encore une fois, christique de son personnage principal. Clough la grande gueule, Clough le joueur talentueux dont la carrière se finit avec la jambe cassée, Clough qui, donc, en 1972 fait remonter Derby County en première division puis lui fait gagner le championnat la saison suivante. Clough inarrêtable qui déteste Leeds et son manager Don Reevie mais qui, en 1973, va signer chez eux, se jetant dans une fosse aux lions. Brian Clough va à Leeds et sait déjà qu'il va échouer. Cela ne peut être autrement après les 14 années de Reevie, cela ne peut être autrement après le titre de champion de Leeds. Il n'aurait jamais dû démissionner de Derby.
Adulé à Derby au point que les joueurs veulent faire grève pour que les dirigeants le reprennent, détester à Leeds au point cette fois que les joueurs réclament son départ après six matches, Brian Clough sera vénéré puis crucifier... avant de renaître avec l'obscur club de Nottingham Forrest. Un personnage comme les aime Peace qui s'en donne à coeur joie dans sa prose populaire, directe et schizophrène. " Tout ça pour toi c'est de l'eau sur les plumes d'un canard. Tu retournes à Derby. Tu vends Willy Carlin à Leicester. Tu laisses Peter le lui annoncer. Lui tenir la main. Lui tenir le coeur... Le bourrer de cortisone. Sécher ses larmes... De l'eau sur les plumes d'un canard."
De ce sport, que ces compatriotes ont inventé, David Peace fait une religion ou au moins des légendes. Il parle de football comme on parle de conflits internationaux, il y a des alliances, il y a des coups de bluff, des trahisons, des sales mecs, de tricheries (ah la JUventus de cette époque...) mais aussi de la violence, avec le phénomène hooligans qui apparaît. C'est évidemment la fièvre, toujours, qui domine dans 44 jours, la fièvre de gagner, la fièvre pour Clough d'être reconnu comme le meilleur manager du pays et d'Europe. Sa descente aux enfers en 44 jours n'en est que plus tragique.
On retrouve ici ce qui fera le meilleur de David Peace, à savoir Rouge ou Mort, consacré à une autre légende, Bill Shankly. Mais là, l'auteur est dans son Yorkshire, dans son environnement, chez lui. Il connaît ses stades, ses rues, ses routes. 44 jours est évidemment un très grand roman, il donne à lire un football aujourd'hui disparu, c'est un peu facile de dire cela, mais un football qui avait une dimension populaire, viscérale. D'en faire un roman de ce niveau là est prodigieux.

44 jours (trad.Daniel Lemoine), ed. Rivages, 472 pages, 9,50 euros
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