Littérature noire
13 Juillet 2018
Le tatouage japonais, ou Irezimu, est sans nul doute ce qui se fait de mieux en terme d'arts corporels. Pétri de légendes, de croyances mais aussi de malédictions, ses meilleurs artistes, très tôt d'authentiques génies, ont longtemps fait l'objet de culte. On est loin, ici, du gribouillage qu'affectionne le biker du dimanche sur sa Harley d'opérette. Et pour s'en convaincre, il y a un classique du roman noir, le simplement intitulé Irezumi.
Publié en 1951, il campe son action dans le Tokyo d'immédiat après-guerre. Trois enfants, aujourd'hui adultes,ont été tatoués par leur père, maître du genre. Un fil, deux jumelles. L'une d'entre elles, Kinué, arbore un magnifique Orochimaru, "sorcier, dont on dit qu'il a affronté le magicien Jiraiya et l'enchanteresse Tsunadéhimé au fin fond du mont Tokagushi..." Un tatouage monumental qui s'étend sur le dos entier. A l'époque, les tatoueurs sont encore poursuivis par la police et les porteurs de leurs dessins très mal vus. Il existe toutefois une société, réduite, amatrice de cet art. Le docteur Hayakawa fait partie des férus de tatouages et en fait une collection. Kinué incarne ainsi une sorte d'absolu, de chef d'oeuvre. Femme fatale, elle séduit le jeune médecin Kenzo avant de se faire assassiner chez elle : ses membres sont retrouvées dans sa salle de bain, le torse est volatilisée. Dans une pièce fermée de l'intérieur ! Le frère de Kenzo, commissaire, est face à un casse-tête. Les quelques suspects bénéficient d'alibis.Le mari ? Il est retrouvé trois jours plus tard, suicidé. Kenzo mène l'enquête de son côté et retrouve le frère de Kinué. Celui-ci, à la vue d'anciennes photos de la fratrie tatouée assure à Kenzo qu'il va lui donner le nom de l'assassin en trois jours. Las, il est lui aussi découvert mort, son tatouage savamment prélevé... Il faudra l'intervention d'une tierce personne pour dénouer tout cela.
Roman policier à énigmes, Irezumi n'est pas qu'un exercice de style classique. Certes, il est irrigué par la littérature policière du début du XXe siècle et Kenzo cite d'ailleurs allègrement Poe. Mais on peut penser à Agatha Christie évidemment. La seconde partie du roman est sans doute la plus intelligente mais aussi la plus bavarde. Résolution patiente de l'énigme oblige. Les lecteurs amateurs de vitesse, de course-poursuite ou, simplement, de violences, n'y trouveront pas leur compte. Le style peut même paraître parfois poussiéreux ou simplement antique. Ce n'est pas un obstacle suffisant face à la peinture éclatante d'une société nippone qui se transforme en profondeur après les bombes atomiques. Akimitsu Takagi glisse ça et là quelques allusions aux dégâts de l'atome, il évoque surtout une nouvelle Constitution pour le pays et on découvre un japon incroyablement superstitieux à propos de cette histoire de tatouages tandis que le génie de Kyozuké impose sa lucidité, son cartésianisme, en un mot, sa modernité. L'Empire va se transformer et, quelque part, le tatouage est un symbole, son acceptation officielle fera entrer l'archipel dans une ère nouvelle.
Passionnant donc malgré un style un peu daté.
Irezumi (trad.Mathilde Tamaé-Bouhon), ed. Folio, 330 pages, 9 euros