Littérature noire
9 Juillet 2018
La mine verdâtre, Roy Dillon sortit en titubant du magasin, chacune de ses respirations le plongeant dans des affres inimaginables. C'est souvent ce que provoque un bon coup dans les tripes et Dillon venait d'en reçevoir un fameux. Non pas un coup de poing, c'eût été déjà suffisamment douloureux, mais un coup asséné de l'extrêmité d'une lourde batte."
Spécialiste du tourment psychologique,Jim Thompson n'est vraiment pas un amateur de violences physiques, c'est extrêmement rare dans son œuvre, il faut se plonger dans L'assassin qui est en moi ou Nuit de fureur, et bien sûr Monsieur Zéro,pour trouver du sang. Mais quand l'enfant d'Anadarko, Oklahoma, s'y met, c'est à sa façon, dure mais sans esbrouffe, il n'évoque pas de grosse bagarre, pas de mare de raisiné. Jim Thompson a de la classe et il sait que le lecteur sait ce qu'est la violence. Nul besoin de faire de l'épate. Et c'est ainsi que commence Les Arnaqueurs. C'est déjà du génie dans un roman qui n'en manque pas. En 1963, Big Jim fait ici la synthèse des grands thèmes de son œuvre, de ses névroses personnelles aussi. Comme lui Roy Dillon tire d'abord le diable par la queue avant de devenir un bon petit escroc. Mieux, comme tout personnage de l'oeuvre thompsonienne, il cache ses vices, son identité d'escroc sous celle d'un beau jeune homme, représentant de commerce. La dualité, toujours. Mais Dillon frôle la rédemption, il n'est pas loin de comprendre que le monde peut aussi fonctionner sans crime. Il voit cela dans les yeux de Carol (prénom déjà utilisé dans The getaway...), ingénue infirmière juive, rescapée des camps de la mort. Mais elle, ce qu'elle voit chez Roy c'est sans doute la perversion, une forme de Mal. C'est le deuxième effet Thompson : Roy et les femmes. Entre une mère de seize ans plus agée que lui, salope de haut vol, escroc elle aussi jusqu'au bout des ongles, et puis Moira, attirée elle aussi par l'argent, notre jeune homme a du mal à se situer. Il a fui sa mère, pris la route de la Californie, de Los Angeles, mais la voilà qui le retrouve. Un peu par accident puisqu'elle « bosse » sur les champs de courses. Son patron lui rendra d'ailleurs une petite visite musclée qu'il terminera en lui écrasant un cigare sur la main !
Entre Une combine en or et Rage Noire, Les Arnaqueurs labourent ce décor des petits Américains aux épaules étroites, perdus autant dans l'Oedipe que dans des plans foireux. Ce sont les Etats-Unis des années 60, celles du porte-à-porte, des jeux de bonnetau, les hôtels qui font pension, les coktails au bar...
Dans Coucher avec le diable, Michael McCauley dit que " c'est loin d'être l'un des grands romans de Thompson, en raison de son ton inégal et d'une construction relativement déséquilibrée. " Rapport à de longues lignes sur des personnages secondaires, qui, finalement, n'apportent rien à l'intrigue. Peut-être pas le meilleur Thompson mais un sacré venin distillé tout au long de ces 240 pages, avec une fin hallucinante qui ressemble tellement à l'auteur.
Les arnaqueurs (trad.Claude Mussou), ed. Rivages, 240 pages, 8 euros.