26 Juillet 2018
Caroline du Sud, 1952. Holland Winchester est un bagarreur, perturbé par ce qu'il a vécu lors de la guerre de Corée. Dans sa bourse, outre une Gold Star, il trimballe toujours les oreilles des soldats qu'il a tués. Le jour où sa mère, avec laquelle il vit, signale sa disparition, le shérif Alexander se voit forcé de mener des recherches. Chez les voisins des Winchester, les Holcombe. Dans cette vallée qui, dans quelques mois, sera englouti par les eaux d'un barrage... Comment Holland a-t-il pu ainsi disparaître, sans laisser de traces ? Et c'était quoi ce coup de feu que madame Winchester a entendu le jour de sa disparition ?
Dans son premier roman, Un pied au paradis (publié en 2002 aux Etats-Unis, sorti en 2009 en France), Ron Rash utilise à merveille le principe des différents points de vue, pour une même histoire qui avance. Il y a le shérif, la femme, le mari, le fils... A chaque nouveau personnage, l'auteur s'efforce d'avoir une voix qui lui colle, une voix différente, paysanne quand c'est le père, plus académique quand il s'agit du fils. Déjà, le procédé tient le lecteur à la gorge puisqu'il sent, petit à petit, que la vérité va lui être contée. Et qu'ensuite, tout à la fin, elle va éclater.
Evidemment que l'on retrouve déjà les obsessions de l'auteur de Caroline du Nord. La mort bien sûr, celle de Holland, mais aussi celle de Sam le fidèle cheval, la mort à travers les buses qui déchiquètent les cadavres, la mort aussi avec ces tombes qu'il faut déplace en prévision de la submersion de la vallée. Autre thème, celui du monde agricole que l'on retrouvera dans Une terre d'ombre. Là, le père Holcombe cultive son tabac, le frère du shérif est resté fidèle à la tradition familiale des champs... on sent une grande douleur chez Ron Rash à l'idée de voir ce monde disparaître sous les millions de mètre cube d'eau. Et Un pied au paradis, comme dans une des nouvelles d'Incandescences, fait la part belle aux superstitions, entre les couleuvres clouées au piquet pour attirer la pluie ou la vieille femme herboriste taxée de sorcière. UIne sorte de mythologie locale sans laquelle il serait parfois impossible de vivre.
Il y a seize donc, Ron Rash publiait cet émouvant roman noir, perpétuant une forme de rural noir que Daniel Woodrell, par exemple, affectionne tant. La façon dé découper Un pied au paradis rappelle aussi aux lecteurs à quel point Rash est un formidable novelliste et de cette faculté aiguë, l'auteur fait ici une fiction passionnante dans laquelle il exprime déjà, outre son talent, un monde en camaïeu de gris, avec des hommes et des femmes, pas vraiment mauvais, mais jamais totalement bons. Dès ce premier opus, Rash était donc l'écrivain des mondes qui s'écroulent. C'est tragique, c'est beau. Et c'est indispensable pour saisir l'oeuvre naissante de celui qui est sans doute l'une des plus belles plumes américaines pour dire la campagne sans passer par des pages de contemplation niaises et convenues. Ron Rash s'intéresse à l'Homme. Dans son environnement certes, mais d'abord à l'Homme.
Coup de chapeau à la traductrice qui a su rendre la langue de l'auteur, surtout lorsque celui-ci enfile le costume du paysan, avec des expressions, un vocabulaire vraiment pas évident.
Un pied au paradais (trad. Isabelle Reinharez), ed. du Masque, 262 pages, 19 euros.