Littérature noire
20 Août 2018
Roddy Doyle. Curieusement, cet auteur irlandais semblait avoir un peu disparu du paysage. Pourtant, dans les années 90, on lui devait le remuant The Commitments et le très drôle The van, complété, dans ce qui est la trilogie de Barrytown, par The Snapper. Doyle exprimait là tout son sens de la proximité, de l'humanité, avec ce soupçon de fatalisme irlandais, une écriture simple mais dorée à l'amour des hommes et des femmes de ce pays.
Et le revoilà donc avec Smile. Vingt-cinq après, il n'a rien perdu de son sens de l'observation du genre humain, de son acuité. Victor Forde vient de quitter sa femme après quelque chose comme 20 ans de vie commune. Il s'est réinstallé dans un petit meublé de Dublin et tente de se reconstruire une nouvelle sociabilité. Pas facile, parce que sa femme, Rachel, est l'une des icônes de la réussite au féminin dans la capitale irlandaise. Autant dire qu'il a grandi, comme il a pu, dans son ombre. Lui, voulait être écrivain. Il n'y est jamais arrivé. Il a fait de la radio et c'est d'ailleurs là qu'il s'est fait remarquer, prenant position contre l'avortement notamment. Au fil de sa toute récente vie de célibataire, il va croiser du monde au Donnelly's, le pub en bas de chez lui. Et d'abord cet étrange Fitzpatrick. Qui lui assure être un ami du collège. Quand ils allaient chez les frères chrétiens. Une rencontre qui fait remonter quelques souvenirs pas tous géniaux de cette époque : un vieux Frère qui vient écouter la messe qui sera chantée à son enterrement tout proche, un autre qui disparaît sans explication, des camarades qui le traitent de « pédé »...
Pour tout dire, le lecteur ne sait pas trop où il va dans Smile. Et peu importe, parce que c'est une tranche de vie irlandaise, un déroulé du quotidien. Sans aventures extraordinaires, sans bombes, sans violences. Ou presque. Roddy Doyle laisse quelque chose en suspens au fil des pages. Il installe une petite gêne. Quelque chose qui cloche. Chez Fitzpatrick ? Chez Rachel ? Dans cet univers de normalité, il y a un accroc. Et les vingt dernières pages viennent prendre le lecteur au cœur, une fin terrible qui redonne tout un autre sens à l'ensemble du livre, à toute la vie de ce néo-célibataire, le roman devient l'itinéraire d'un gâchis, d'un scandale.
On ne se souvenait pas de Roddy Doyle ainsi : avec cette dimension acide, politique finalement. On est loin des histoires d'amitiés musicales, de familles tapageuse, là l'auteur se base sur de l'Histoire, des faits. Certes connus depuis, avérés, mais qui ont évidemment heurté, choqué et surtout traumatisé des milliers de jeunes irlandais. C'est bon que cela soit encore dit et écrit, pour faire comprendre à quel point la société a étouffé ces agissements, transformant les victimes en coupables, en menteurs. Doyle le dit avec ses mots, dans une narration faussement tranquille, faisant voler en éclats toute la quiétude d'une existence trop ordinaire.
Smile, (trad. Christophe Mercier), ed. Joelle Loesfeld, 247 pages, 19, 50 euros.