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The killer inside me

Littérature noire

Tuer Jupiter : Médéline brise-t-il un tabou ?

La littérature régale quand elle peut ainsi prendre la fiction pour torpiller  la réalité. Que ce soit clair : Tuer Jupiter est un roman politique noir, sorti du cerveau affamé de François Médéline, mais qui a toutes les vertus d'un livre de true fiction. Ces bouquins qui retracent un fait divers pas à pas, avec parfois un soupçon littéraire et souvent de gros sabots voyeuristes.
Mais Tuer Jupiter, c'est donc de la littérature. L'idée de base tient en trois lignes : novembre 2018, le président Macron est assassiné, empoisonné par un chocolat. Daesh revendique. Mais la réalité est bien plus complexe... heureusement.
D'abord Médéline écrit très bien, avec verve, insolence et un certain respect pour les grands maîtres du Noir. Pourquoi, a contrario de Yan songe-t-on à David Peace, plus qu'à Ellroy ? À cause de la scansion. " Gérard Collomb serra le dossier de chaise. De toutes ses forces. Gérard Collomb n'aimait pas les sigles. Gérard Collomb n'aimait pas les réponses lapidaires..." Ou plus tard, lorsque Barnerie se retrouve sur le bateau, " le catamaran parti en surf à 18 noeuds... à 15 noeuds..." D'accord le Dog fait ça aussi mais voilà, on y sent plus la patte de l'homme du Yorkshire. Ce n'est pas qu'un effet de style puisqu'il s'agit de créer un étouffement par l'ambiance, d'écraser le lecteur dans un instant suffocant, une impression de permanence. Et puis on pense aussi au maître anglais dans l'utilisation du hors texte, que ce soit les tweets qui ouvrent Tuer Jupiter, les rapports de conférence de presse et surtout ses longues pages de revue de presse, illustrant à merveille notre monde de l'info continue, toujours à la recherche de la moindre news même la plus stupide, histoire d'alimenter notre malaise encore et encore.
La structure du roman, reculant pas à pas jusqu'à la confection de l'attentat est un grand classique du noir, exécuté ici avec minutie et ce brin de folie qui caractérise ce pilier de La manufacture de livres.
Après il y a le fond. Et là, le lecteur retrouve le Médéline de La politique du tumulte. Cette gourmandise à imaginer les pires coups bas de la politique, avec force barbouzes, des scènes qui naviguent de Washington à Argenteuil, Cannes. L'auteur convoque Trump, Poutine, dans des scènes souvent loufoques (le massage de Vlad oui) parfois moqueuses ( Trump et ses ratios) mais tellement bien tournées que le lecteur y plonge avec un plaisir non dissimulé. Oui les grands de ce monde sont en conflit, oui ils ont des egos démesurés et oui, ça fout les jetons. Et en insérant ici et là quelques scènes de réalité (le voyage des Macron à Agra), François Médéline parvient à troubler son lecteur, obligé de se répéter que "ceci n'est qu'une fiction".
Tuer Jupiter est un roman à la saine ambition. Prendre comme personnage principal l'actuel chef d'Etat de la France n'est pas innocent. Médéline aime choquer même si ce n'est jamais méchant et jamais trop engagé.  En tout cas, ce n'est pas gratuit, Médéline tricote, s'amuse, perd d'ailleurs, à force, le lecteur (l'accident ?), mais Il y a un certain panache à briser le tabou de l'assassinat d'un Président et puis il y a de l'intelligence. Le vrai reproche, c'est finalement de se montrer bien gentil à l'égard du couple Macron. Il est finalement très Français l'auteur de Tuer Jupiter, son président même s'il l'écorne, il en fait un héros et ça, c'est un peu gênant avec le recul. Il aurait pu pousser le bouchon plus loin. Pas grave.
A l'époque du président Sarkozy la Série Noire avait multiplié les romans acides sur le chef de l'Etat et alors patron de l'UMP. Avec Hollande, curieusement plus rien. Médéline reprend un peu la main et se montre bien plus malin que ses prédécesseurs, écrit sans dogmatisme. Certains trouveront cela un peu plat. Sans risque. Non, Tuer Jupiter est simplement un roman de la France de 2018, en manque de convictions profondes. Où les hommes deviennent plus importants que les idées. 

Tuer Jupiter, ed. La manufacture de livres, 222 pages, 16, 90 euros.
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