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The killer inside me

Littérature noire

Robert McLiam Wilson revient en 2019 avec un nouveau roman

C'était peut-être l'auteur à ne pas rater aux Rencontres Libri Mondi, de Bastia. Parce que l'homme est assez rare. Normal, quand on a rien écrit depuis 22 ans.
Rare mais pas muet. Et si ce bavard ne parle pas, c'est qu'il grille une roulée. Que ce soit le matin, le midi, le soir, Robert McLiam Wilson est indissociable de cette fumée qui l'entoure. " Mais je vais m'arrêter bientôt, assure-t-il. Ce ne sera que la deuxième tentative. La première fois, en sept mois j'avais quand même pris 20 kilos ! Et quand j'ai repris la clope, d'un coup, je les ai perdus, sans faire une seule heure de sport. " L'écrivain nord-irlandais, drôle, vif, pince sans rire, et donc fumeur invétéré, demeure une sacrée énigme dans le monde de l'édition.
A 25 ans à peine, il publie Ripley Boggle, un roman tiré de ses errances de SDF dans les rues de Londres. Une prose étincelante, teintée d'humanisme et d'humour : " d'habitude à l'aube, j'abonde en platitudes semi-universelles. Peinant toute la sainte journée, je reste indifférent au monde contemplatif. Néanmoins, la nuit attise mon esprit. Je songe aux fatigues du monde. L'honneur, la justice, la vérité, la charité, la puissance, la force, la mort et Dieu – tous contribuent de leur mieux à ma confusion. "
Puis il enchaîne avec un livre poignant mêlant textes et photos, Les dépossédés, suit un autre roman, La douleur de Manfred, et sans doute son altar, un texte universel, toujours jeune, Eureka Street, sur sa vie d'adolescent dans les rues de Belfast. Il a alors trente-deux ans et cesse d'écrire. Jusqu'à ces derniers mois. " Attention, il n'y a aucune date de publication annoncée. J'ai écrit environ 600 pages et il faut que je resserre mon texte pour atteindre quelque chose comme 450 pages. Donc il y a un gros travail, que je fais avec mon éditrice (Actes Sud). Je suis heureux mais c'est flippant. Parce que j'ai peur de penseur que ce soit bon... et que ce ne le soit pas ! Et même si c'est bon, ça me fait peur... Franchement je trouve ça assez immonde de parler de soi. Et encore plus de se prendre trop au sérieux. Je ne peux pas vraiment en dire plus. " Sinon qu'il y a aussi un autre texte, fini depuis dix ans et qui dort quelque part, dans un tiroir. " Oui. Et celui-là il sortira seulement après l'autre. C'est peut-être pas très clair pour tout le monde, je sais. C'est un texte dont de très larges extraits, peut-être trente ou quarante pages, ont été pré-publiés en Angleterre, en Allemagne et en Italie. Donc il n'y a rien de secret. Il y a même des Australiens qui voulaient en faire un film, juste sur ces extraits ! " On n'en saura pas plus sur l'avenir littéraire de Robert McLiam Wilson.


" Je m'en fous moi du colonialisme "
Mais sa venue en Corse résonne fortement aux oreilles des insulaires. Et ce n'est pas un hasard si Marcu Biancarelli, auteur très critique sur le nationalisme et ses dérives, est venue à sa rencontre ce samedi, dans les jardins du musée de Bastia. Parce que cet auteur nord-irlandais pourfend depuis toujours les deux camps qui se sont si longtemps opposés dans les rues de sa ville. Que ce soit l'IRA ou l'UDA, ils les renvoient au même jugement définitif : "  des fascistes ". Dans Eureka Street, justement, le lecteur suit ces adolescents noceurs et totalement apolitiques. Et cela semble presque décalé avec l'image véhiculée ici, celle d'un pays, d'un peuple soulevés, en rebellion. " Franchement, quand vous avez 16, 17 ou 18 ans, c'est le drapeau qui vous intéresse ? Non, c'est les filles, le foot. Je vous donne une statistique : 3500 morts dans les Troubles d'Irlande du Nord. 177 morts attribués aux soldats anglais. Et après on vient nous dire, « bouh les méchants soldats anglais ?! ». Oui, il y a du colonialisme mais depuis combien de siècles ? Je m'en fous moi. Et je ne suis pas le seul. Le nationalisme irlandais c'est une obsession de la pureté du sang. Alors qu'une étude de l'université de Belfast a démontré qu'une majorité de nord-irlandais avait du sang basque dans leurs veines ! Oui ! Et personnellement je m'appelle Wilson ! Si ça c'est pas un nom typiquement protestant écossais. Alors que je viens d'une famille catholique. "
Il est là son schisme personnel : la famille. Grandi au cœur du Belfast catholique, dans Falls Road et ses fameuses peintures murales républicaines, Robert McLiam Wilson est issue d'une tribu avec sept frères et sœurs. Le clan est passablement politisé mais surtout pauvre. Les parents ne travaillent pas tous les jours. Et pour tout dire, on côtoie les bordures de la légalité.
Jeune, le petit Bob va taper dans le ballon. Une des ses passions. Un de ses drames, drôle encore, comme il l'écrira plus tard et joliment dans une chronique pour Libération : " nous avons une sorte de ligue. Mais personne ne va vraiment voir ce genre de matchs. Parvenir à une affluence à quatre chiffres pour des clubs comme Distillery ou Linfield reviendrait à compter les insectes présents (quoique, le plus souvent, il fasse trop froid et trop humide pour des insectes)" Question sport, il pratique, quand il peut... le criket. Il n'a pas joué depuis quatre ans et la dernière fois c'était... à Toulouse : " l'avantage de ce sport c'est que même les nuls peuvent y jouer ! ".
Bref, il a une adolescence de prolétaire comme il le dit. Mais il a une chance : il aime les livres. " J'ai découvert Dickens tout petit. Je volais les livres à la bibliothèque parce que je ne savais même pas que ça pouvait s'emprunter. Dickens, c'est la révélation. Même s'il est stupide avec les femmes, beaucoup trop sentimental à mon goût, Dickens est incapable d'écrire une mauvaise phrase. Son anglais est tout simplement à croquer. Je lisais beaucoup d'auteurs morts. Pour moi, la mort c'est quand même un filtre auquel les nuls n'échappent pas. Si on ne parle plus de vos livres quand vous disparaissez, il doit y avoir une bonne raison. De contemporain, qui m'a botté, je crois que le mieux c'était Les chroniques de Narnia, parce que j'ai reconnu un auteur de Belfast là-dedans : on est un petite ville, très coincée et cette armoire qui ouvre sur un autre monde, c'est vraiment chez nous."

" L'ascenseur social était une réalité en Grande-Bretagne à mon époque "
Ecole publique, collège publique. Robert McLiam Wilson va ensuite entrer dans la prestigieuse université de Cambridge, section littérature. Les sentiments sont ambivalents. Certes il y a des filles. Et si à Belfast, les protestantes trouvaient ça très canaille de sortir avec un catholique, dans le temple du savoir anglais, ce sont les bourgeoises qui vont s'exciter à l'idée de fréquenter de près un prolo ! Cambridge c'est aussi l'occasion d'avoir les clés des bibliothèques et de pouvoir, même à quatre du matin, consulter des livres qui ont deux ou trois cent ans. Cette richesse, cette abondance enivrent le jeune belfastois. Quoique jeune. Pas autant que ses camarades : " ils avaient tous l'air d'enfant. Alors que moi, d'où je venais, je m'étais quand même fait tiré quatre fois dessus avant d'avoir seize ans. C'est un peu ça qui m'a fait quitter l'université. Au bout de deux ans. Avant même d'avoir mon diplôme en poche. Aujourd'hui je mesure à quel point l'ascenseur social était alors une réalité en Grande Bretagne. Pour tout, je n'ai jamais eu à débourser un penny. J'étais totalement pris en charge. C'était l'époque juste avant l'arrivée de Thatcher bien sûr... "
Et puis donc, la rue. Quelques temps. Et le premier roman. Un succès. Un autre livre. Et le troisième. Et ce grand vide artistique. Cette évaporation. Avant le déménagement à Paris. De la France, il apprécie le climat. Mais il apprécie également l'architecture. La façon de vivre. La politique même. Et surtout pas la musique française ou cette absence d'humour. De fil en aiguille, en perfectionnant son français, il va collaborer d'abord à Libération pour des chroniques vraiment croustillantes. Puis Marie Darrieussecq va le présenter à l'équipe de Charlie Hebdo après l'attentat meurtrier. " C'est fou, une semaine avant l'attentat, je rends un papier à la BBC, je crois que ça s'appelait Paris avant guerre... Un comédien devait le lire. Forcément cela ne s'est jamais fait. Mais qu'un con comme moi se rende compte de l'ambiance, de la tension, de ce qui montait ! Je me demande ce que faisait les gens intelligents à Paris !... Charlie, le Bataclan, Nice, c'est le pire du pire. Je ne comprends pas que l'on ne laisse pas s'exprimer la colère. Je n'en peux plus d'entendre parfois "il faut comprendre ". Fuck off ! Ces gens sont bêtes et ils ont envie de faire du mal. Ils ont des vies merdiques et ils prétendent libérer des pauvres en tuant d'autres pauvres ! Quand j'étais à Londres, j'ai rencontré des Péruviens dissidents du Sentier Lumineux, je n'ai jamais entendu des conneries pareilles. Et après viennent des journalistes étrangers qui écoutent leurs complaintes."
Pour en revenir, à Libération, à Charlie, " des gens gentils, d'authentiques chatons... dans un bunker", c'est ce journalisme qui lui a redonné l'envie du roman : " pas tellement, le fait d'écrire purement. Ce n'est pas ça. C'est plutôt le geste d'abandonner mon texte à la rédaction, d'envoyer mes mots, qu'ils ne m'appartiennent plus. J'ai repris du plaisir. " Parce qu'encore une fois l'homme se passionne pour tout ou presque. Que ce soit la pratique de la langue corse pendant ces deux jours, Dutronc depuis quelques temps... et puis l'Irlande toujours. Incroyable comme son éloignement géographique se révèle une sorte de déracinement. Lancez-le sur le Brexit, la frontière République d'Irlande/Irlande du Nord : " chez nous on a voté contre le Brexit ! Mais maintenant, on parle de réinstaller des frontières physiques en Irlande, comme avant. Et les protestants se disent, pour la toute première fois, ce n'est pas pour ça que nous avons voté lors du référendum. Ils se sentent trahis. Et se disent même qu'une Irlande unie, ce n'est pas la fin du monde. C'est un truc fou. D'ailleurs, aujourd'hui si il y a un nouveau référendum pour l'indépendance de l'Ecosse, ça passe haut la main. Les Ecossais ont massivement voté contre le Brexit. C'est vraiment la merde."
Il cherche son briquet. Tire encore trois taffes. Profite du soleil. C'est vrai qu'il y a un monde, voire une galaxie d'écart, entre son enfance, sous le regard continue des soldats anglais, dans une ville barricadée, et ce séjour insulaire, entre rires sonores, discussions sans fin, petit café en terrasse.

Photo @Jonathan Mari/Corse-Matin

 

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K
Merci pour ce formidable billet où j'ai retrouvé l'auteur de Eureka street, un de mes plus forts souvenirs de lecture ! J'attends avec impatience la sortie de son futur roman !
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