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The killer inside me

Littérature noire

Route 62 : sociologie de la fin du rêve américain

La grande avenue de Skid Row, Los Angeles, au début des années 2010, ferait passer le camp de migrants de Calais pour une colonie de vacances ! Là-bas, c'était des centaines de mètres, voire des kilomètres de tentes, des structures précaires, voire rien du tout, les plus miséreux dormant à même le sol. A l'époque, les images étaient terrifiantes. Surtout quand on apprenait qu'ils s'agissaient d'afro-américains, victimes de la crise, de la hausse des loyers... dans une des villes des Etats-Unis rassemblant le plus grand nombre de millionnaires. Voilà le décor de Route 62, d'Ivy Pochoda.
Mais pas seulement. L'auteure reste en Californie, du côté du parc de Joshua Tree, pour raconter aussi l'utopie d'une communauté hippie (c'est drôle et parfois méchant), autour d'un gourou, installé là avec son élevage de poulets, sa femme et ses deux gamins. Gourou évidemment qui pousse loin son enseignement auprès des stagiaires féminines... Une Wonder Valley, titre original, qui va se transformer en caricature cauchemardesque.
Le roman d'Ivy Pochoda est très intelligent en nous ouvrant les yeux, si c'était encore nécessaire, sur la situation catastrophique de nombre d'Américains (on parlait de 20 000 SDF à LA) et sur le rêve définitivement perdu d'une société juste. C'est donc un livre finement politique, qui place aussi la violence au coeur du pays, qui place surtout la came au coeur des existences, médocs, herbes, champignons.
Ivy Pochoda a ce talent pour faire démarrer Route 62 sur l'image d'un jeune homme courant nu au milieu des embouteillages de Los Angeles.Incroyable symbole de libertés que tous les personnages de ce roman chercheront. Tony, le juriste coincé dans sa vie proprette. Mais surtout Britt, jeune fille promise à une belle carrière de joueuse de tennis. Et puis Ren forcément, à peine sorti de prison et parti sur les traces de sa mère dans Skid Row... autant de trajectoires chaotiques que Pochoda va tisser entre elles. Dans une narration complexe mais soignée, toujours en mouvement.
L'Amérique de la misère, de la galère quotidienne, de la crasse aussi. Tout ça, sans jamais voir la mer bien sûr.
Coup de chapeau à Liana Levi qui, entre Seth Greenland et Iain Levision, et maintenant Ivy Pochoda nous offre la vision d'une Amérique urbaine désenchantée. Une sociologie de la fin du rêve.

Route 62 (trad. Adélaïde Pradon), ed. Liana Levi, 351 pages, 22 euros.
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