29 Octobre 2018
Agé de 44 ans, né à Rhodes Island et désormais installé à Atlanta, Thomas Mullen s'est fait remarquer en 2006 aux USA avec The last town on earth (pas traduit ici sauf erreur), vainqueur du prix James Fenimore Cooper pour les fictions historiques, également désigné meilleur premier roman par USA Today. Avec Darktown, paru en 2015, et dont la suite Lightining Men sort ces jours-ci outre-Atlantique, Mullen s'empare d'un autre morceau d'histoire américaine, la lutte pour les droits civiques, la lutte contre la ségrégation raciale à la fin des années 40. Plutôt que des militants noirs, il choisit la création d'une brigade de policiers noirs, en 1948, à Atlanta, une première dans une Géorgie évidemment attachée à ses traditions, disons, sudistes.
Boggs et Smith, l'un fils de pasteur issu d'un milieu favorisé, l'autre fils d'un homme lynché et tout juste revenu de la Seconde Guerre Mondiale, vont enquêter sur la mort de la jeune métisse Lily Ellsworth. Elle a été retrouvée dans une décharge avec un impact de calibre 22 sous le coeur... Or 48 heures avant, pendant une ronde nocturne, les deux agents ont vu cette fille dans une voiture conduite par un Blanc qui venait d'emboutir un réverbère. Et ils avaient assisté, de loin, au paisible contrôle du conducteur par une patrouille de policiers bancs. Deux jours plus tard, ce meurtre d'un fille de couleur n'intéresse personne au commissariat. Sauf peut-être le partenaire de l'immonde Dunlow, le jeune Drake, un Bleu, encore plein d'idéaux. Mais aussi Boggs et Smith qui n'ont pas la compétence pour enquêter mais vont quand même chercher à connaître le fin mot de l'histoire... Racisme, injustices, humiliation vont jalonner leur quête de vérité. Tout comme les bordels et les boîtes de jazz.
Darktown brille avant tout par la qualité de son intrigue, pourtant ultra classique. Un monde peu connu et tellement dur, dans cette Amérique ségrégationniste. L'expérience de ces huit premiers policiers noirs est à la fois un espoir et un coup de bluff, puisqu'il s'agit pour les politiques d'obtenir ni plus ni moins que les voix de la communauté noire aux élections. Une communauté divisée face à cette brigade, certains reprochant aux policiers d'interpeller tel cousin, frère ou ami, d'autres se félicitant de ce progrès social et aussi d'une certaine baisse de la délinquance. Des flics noirs moqués par leurs collègues plus pâles, qui ne rêvent que d'une chose, se débarrasser d'eux, les faire tomber par n'importe quel moyen.
Le récit est passionnant et il manque juste un peu de "voix" à Thomas Mullen. Son style reste assez formelle, passe partout, et même si deux ou trois scènes sont réellement bien écrites (celle de Smith dans le bar face à Zo est géniale), il manque un petit quelque chose de tripes, d'envolées. Comme si la dimension de son propos l'écrasait et l'empêchait de prendre toute sa liberté d'écriture.
Pas de quoi gâcher le plaisir d'une série qui s'annonce captivante et qui n'arrive pas par hasard. Parfois il faut se souvenir de ce qui s'est passé il y a encore très peu de temps pour comprendre l'actualité. En 1948, on pouvait, dans le sud des Etats-Unis, tuer un noir en toute impunité.
Darktown (trad. Anne-Marie Carrière), ed. Rivages, 426 pages, 22 euros.